Quand l’extrême-droite rêve de faire école | Grégory Chambat
Grégory Chambat,
Quand l’extrême-droite rêve de faire école. Une bataille culturelle et sociale,
Éditions du croquant, 2024
Note de lecture proposée par Paul Devin
La préface de cet ouvrage pourrait laisser croire à un pessimisme absolu. L’école qu’y décrit Grégory Chambat semble sombrer vers le renoncement à la démocratisation scolaire, vers les obsessions disciplinaires et identitaires sans qu’apparaisse le moindre espoir de résistance.
Mais il ne faut pas se méprendre sur les intentions de l’auteur. Ceux qui connaissent son action militante et ses publications savent combien sa vision politique de la pédagogie est loin d’avoir renoncé à la perspective d’une école émancipatrice. Le pessimisme par lequel il ouvre son livre veut susciter une prise de conscience dans un monde où la normalisation des idées de l’extrême-droite risque de nous aveugler sur la réalité des dangers qu’elle représente pour l’école.
C’est l’argumentaire d’une riposte que nous propose Grégory Chambat.
Tout d’abord en nous rappelant que l’instrumentalisation idéologique de l’école par les réactionnaires n’est pas chose nouvelle. On pourra regretter que la critique de l’école de la IIIe république soit faite essentiellement sur le mode du réquisitoire en négligeant la diversité parfois conflictuelle des idées qui la portèrent, diversité à laquelle il n’est fait que de brèves allusions. Mais le choix est clair et nécessaire de vouloir déconstruire la vision idéalisée d’une école républicaine dont le discours égalitaire laisserait croire en une capacité naturelle de résister aux visées réactionnaires. Car c’est justement son incapacité à rendre effective cette promesse égalitaire qui la rend poreuse aux idées de l’extrême-droite. Les exemples cités ne manquent pas qui témoignent de cette permanente perméabilité, qu’il s’agisse d’instrumentaliser l’école pour construire le roman national, de louer la colonisation ou l’ordre établi ou d’organiser le système scolaire dans la séparation des enfants du peuple de ceux de la bourgeoisie. Les progrès permis par la massification de l’accès aux études secondaires nous ont nourri de l’illusion d’une évolution irréversible quelle que soit sa lenteur. L’actualité récente de la réforme des lycées professionnels, des groupes de niveau au collège et du tri, par le DNB, à l’entrée au lycée montrent qu’il n’en est rien. On imagine ce que l’extrême-droite parvenue au pouvoir serait capable de faire d’un tel « marchepied ».
Le discours commun laisse parfois entendre que les positions de l’extrême-droite sur l’école ne seraient constituées que de quelques saillies de discours. Gregory Chambat montre qu’il n’en est rien : depuis les années 70, sous l’impulsion de la Nouvelle Droite, c’est un corpus idéologique qui se construit et se met au service d’une bataille culturelle qui accuse le pédagogisme ou le wokisme de détruire l’école avec la complicité des sociologues, des historiens… et du syndicalisme. Dans les exemples cités, on perçoit bien l’habileté séductrice d’un discours construit sur des fausses évidences. Au vu d’une école dont le projet politique n’a ni la volonté, ni les moyens de permettre une égalité réelle, nombreux se laissent tenter par un argumentaire qu’ils estiment crédible. A force de décrire une décadence, on finit toujours par faire croire à la nécessité d’un « réarmement civique ».
Mais à ceux qui, déçus par tous les autres projets politiques, seraient prêts à tenter l’expérience, Grégory Chambat rappelle que cette expérience a déjà été faite, dans la France de Pétain, le Brésil de Bolsonaro, la Turquie d’Erdogan, les États-Unis de Trump, la Hongrie d’Orban… et dans des municipalités françaises acquises à l’extrême-droite. Il nous rappelle aussi ce que sont les réalités d’écoles comme celles des catholiques traditionnalistes ou celles d’Espérance Banlieues où l’endoctrinement fait office d’éducation.
La première vertu de ce livre est de montrer à ceux qui croient encore que l’extrême-droite ne s’intéresse que superficiellement à l’école qu’elle est au contraire un de ses principaux champs de bataille culturelle.
Mais son enjeu essentiel est de vouloir contribuer, dans des temps de menace réelle, à une prise de conscience : il ne nous suffit plus de proclamer un rejet moral de l’extrême-droite. Nous devons nous mettre au travail pour engager une riposte capable d’éclairer la réalité des enjeux et de défendre une école démocratique. Pour cela, Grégory Chambat nous propose d’élaborer collectivement « un nouvel imaginaire, scolaire, éducatif et pédagogique ». Car c’est bien par une bataille d’idées qu’il faut riposter. La dénonciation des idées de l’extrême-droite pour l’école ne suffira pas si nous ne sommes pas capables de lui opposer d’autres perspectives.
Souhaitons que de nombreux militants d’une école égalitaire et émancipatrice se saisissent de cette proposition avant qu’il ne finisse par être trop tard !
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