Parcoursup : derrière l’extension de la sélection, l’institution d’un régime paradoxal de sélection scolaire
Parcoursup est souvent présenté comme le dispositif ayant instauré la sélection à l’université. Regardé à la lumière de l’histoire récente de la sélection des publics étudiants, il représente incontestablement une extension du domaine de la sélection à l’entrée dans les universités. Mais, en hiérarchisant à l’infini les filières, Parcoursup permet surtout de gérer le paradoxe d’un système éducatif qui n’a jamais autant diplômé de son histoire tout en transmettant très inégalement les savoirs entre les classes sociales.
Votée dans les suites immédiates de la première élection d’Emmanuel Macron, la loi relative à l’orientation et la réussite des étudiants instaure en 2018 la plateforme Parcoursup. Elle gouverne depuis 5 années l’entrée des étudiantes et étudiants dans l’enseignement supérieur en dépit de la récurrence des critiques et des ratés qui accompagnent l’emprise – désormais centrale – de cette procédure sur le calendrier scolaire et universitaire.
Pour comprendre comment Parcoursup et son fonctionnement se sont imposés à nous, notre ouvrage, L’université qui vient. Un nouveau régime de sélection scolaire (éd. Raisons d’Agir, 2022), propose tout d’abord de le replacer dans une histoire de l’extension de mécanismes institutionnels de sélection explicite des étudiants et étudiantes à l’entrée des formations universitaires. Nous rappelons ensuite que Parcoursup de 2018 est aussi une réponse à la grande fragilité juridique de l’ancien système d’affectation APB qui aboutit à une modification d’une disposition majeure du Code de l’éducation et à une intensification de la sélection des étudiantes et étudiants à l’entrée des formations universitaires.
L’extension historique de la sélection des publics étudiants à l’entrée de formations
Les 74 universités françaises regroupent de très nombreuses formations aux objectifs et aux statuts très variés. On l’oublie parfois, mais elles demeurent aujourd’hui encore fortement liées aux grandes professions réglementées de la médecine et du droit tout en rassemblant les disciplines désargentées des humanités (philosophie, lettres, histoire) ou des sciences (mathématiques, biologie, physique-chimie), mais aussi des disciplines apparues plus récemment (comme l’informatique) ou les filières apparues depuis les années 1960 (administration économique et sociale (AES), psychologie, sociologie, sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS), etc.). Dans chacune de ces formations, les universitaires semblent chaque année plus nombreux à participer à des dispositifs sélectionnant explicitement les étudiants à l’entrée de leurs formations.
Depuis l’instauration du numerus clausus à l’issue de la première année dans les filières de santé en 1971, la sélection explicite des publics universitaires n’a fait que s’étendre : circonscrite à quelques nouveaux diplômes professionnalisants dans les années 1970 comme les maîtrises de sciences et techniques (MST), de sciences de gestion (MSG), aux diplômes d’études approfondies (DEA) ou encore aux diplômes d’études supérieures spécialisées (DESS), elle fut ensuite accordée à une université entière (Paris-Dauphine) au début des années 2000, puis aux filières universitaires désireuses d’attirer les meilleurs bacheliers à travers la multiplication des licences sélectives (doubles licences pluridisciplinaires, doubles diplômes franco-étrangers…) et enfin en 2016 au master1, l’un des diplômes les plus élevés du système éducatif français. Ces diplômes (master 1 et master 2) et ce cycle (2è) ont d’ailleurs été au cœur d’un contentieux et d’un vif débat politique à la fin des années 2010. La sélection a d’abord été déclarée illégale au milieu de cycle par le Conseil d’État, obligeant le gouvernement Valls (Parti Socialiste) à légiférer. Par la loi du 23 décembre 2016, il instaure alors des « capacités d’accueil » en première année de master et de façon dérogatoire à l’entrée de master 2 ; disposition dont se sont plus particulièrement saisis les responsables de masters en droit et en psychologie. Parce qu’elle déplaçait la sélection à l’entrée en master mais garantissait aux candidats de pouvoir s’inscrire dans un autre master en cas de refus, cette loi a donné́ lieu à de vifs débats internes aux syndicats étudiants et universitaires de gauche, dont plusieurs ont fini par la soutenir (Unef, snesup-FSU).
Dix ans avant Parcoursup, la sélection des publics étudiants à l’entrée des formations universitaires est donc largement banalisée mais elle semble cantonnée au deuxième (master) et troisième cycle (doctorat). Celle du premier cycle universitaire est strictement encadrée par un l’article L612-3 du code de l’éducation qui indique que « le premier cycle [de l’enseignement supérieur] est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat ». C’est donc à titre dérogatoire que les universités franciliennes utilisent le Recensement Automatisé des Vœux des élèves (Ravel, créé en 1990) qui ne repose que sur la territorialisation des affectations des bacheliers d’une académie à un établissement. D’ailleurs, seule l’université Paris-Dauphine située dans le 16e arrondissement de la capitale dispose d’un statut « sur mesure », octroyé par le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin (Union pour un Mouvement Populaire) en 2004, lui permettant de délivrer ses propres diplômes d’établissement, d’appliquer des frais d’inscriptions en dehors de ceux réglementés par l’État et de sélectionner les postulants à ses onéreuses formations de premier et de deuxième cycle. Dans les faits, l’essentiel des bachelières et bacheliers s’inscrit encore aux guichets des scolarités de l’université la plus proche de leur domicile.
Parcoursup : une intensification de la sélection à l’université ?
Quinze ans plus tard, la totalité des filières des universités françaises est désormais sommée de soumettre les candidats à un examen de leur dossier scolaire et de leur projet transmis par la plateforme de préinscription « Parcoursup ». Dès son lancement en 2018, ce dispositif est au cœur des contestations étudiantes du printemps qui y voient l’instauration d’une sélection à l’entrée à l’université. Quatre ans plus tard, pour de nombreux lycéens, « réussir Parcoursup » supplante l’enjeu de l’obtention du baccalauréat. Et pour cause, les données dont nous disposons indiquent une nette extension de la sélection à l’entrée des formations universitaires : pour sa dernière année, APB comptait une centaine de licences qui recouraient à des tirages au sort illégaux pour départager leurs candidats. En 2021, pour la 3e année de Parcoursup, 773 licences n’ont retenu au plus que la moitié des candidatures, soit un quart des licences proposées sur le portail2. Cette transformation touche les premières destinations d’études des enfants d’ouvriers et d’employés dans le supérieur. Parmi les bacheliers et bachelières des milieux populaires, beaucoup préparent des BTS. Mais ils et elles sont plus encore à s’inscrire à l’université en visant au minimum une licence : les STS ne rassemblent au total qu’un cinquième (20 %) des étudiants d’origine populaire, ce qui s’avère finalement peu par rapport au poids des filières universitaires dans les destins scolaires de ces mêmes étudiants. En effet, 59 % des étudiants d’origine populaire sont inscrits en lettres, en sciences humaines et sociales, en économie, en droit, en sciences ainsi que dans les Inspé. A l’autre extrémité de l’échelle sociale, 54 % des étudiants des classes dominantes sont quant à eux inscrits dans des classes préparatoires, des écoles de commerce ou d’ingénieurs ou du secteur de la culture, de grands établissements et au sein des études de santé. Ces institutions, largement sélectives, apparaissent au cœur de leurs nouvelles stratégies de reproduction quand les filières universitaires constituent, à l’inverse, le véritable centre de gravité des études supérieures des enfants des classes populaires.
En attendant d’avoir le recul nécessaire à l’appréciation fine des effets de Parcoursup sur la réussite en licence, il est d’ores et déjà acquis que les nouvelles modalités de sélection à l’entrée à l’université́ ont défavorisé́ les bacheliers professionnels et technologiques : ils représentent 17,7 % des néo-bacheliers inscrits en L1 à la rentrée 2018, contre 19,5 % l’année précédente. Cette baisse est générale, mais nettement plus marquée en STAPS (– 6,3 points) et très faible dans les filières de lettres et sciences humaines et sociales (– 0,6 point). Si une part de cette baisse s’explique par le léger déclin de la part des bacheliers professionnels et technologiques parmi les néo-bacheliers de 2018 (– 0,8 point), l’autre part ne peut qu’être imputée aux effets de Parcoursup sur les vœux des lycéens et sur les décisions des formations de licence. À l’inverse, les bacheliers généraux renforcent leur poids parmi les néo-bacheliers inscrits en L1 : dans l’ensemble des filières STAPS, les bacheliers scientifiques deviennent majoritaires (+ 5,8 points), tandis que la part des bacheliers littéraires diminue… en lettres et sciences humaines et sociales (– 2,1 points) au profit pour l’essentiel de celle des titulaires d’un bac économique et social (+ 2,5 points) ! Alors que la part des bacheliers ayant obtenu une mention est restée stable, les étudiants sélectionnés par Parcoursup sont plus nombreux à avoir décroché́ une mention au bac (+ 2,3 points). À nouveau, c’est en STAPS que cette part augmente le plus (+ 4,4 points). Ces moyennes nationales masquent de grandes disparités d’une université́ à l’autre. L’université́ de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où les formations d’histoire, d’économie et de droit sont centrales, voit ainsi augmenter de 12 points la part de ses néo-bacheliers de L1 titulaires d’une mention au bac et baisser de 6 points la part de ceux qui ont plus de dix-neuf ans. Au pôle opposé, l’université́ d’Évry perd 5 points de bacheliers ayant obtenu une mention et l’université́ Paris 8 (Saint-Denis) perd 3 points de bacheliers généraux. Ces évolutions sont très rapides et accentuent bien souvent les tendances en cours, déjà̀ à l’œuvre, avant le remplacement d’APB par Parcoursup.
Conclusion
En instituant progressivement la sélectivité́ à l’entrée d’une formation comme le mètre étalon de sa qualité, Parcoursup tend désormais à s’imposer comme la seule et unique balise d’orientation des bacheliers et de leurs familles. Dans un système tout entier tourné vers la diplomation de ses jeunes générations, la transmission des savoirs scolaires, pourtant centrale dans l’obtention d’une licence, s’avère l’angle mort des réflexions actuelles sur l’orientation des étudiants. Car Parcoursup ne fait, en définitive, qu’ériger en principe de fonctionnement les nombreux ratés du système éducatif français : loin de rendre visible la diversité des formations supérieures, il multiplie les hiérarchies symboliques entre formations et permet donc la reproduction d’un régime paradoxal de sélection scolaire fondé sur une forte diplomation et une forte inégalité de transmission de savoirs. La revendication d’un droit à la réussite à l’université́ de toutes et tous passe à l’évidence par la suppression d’un tel dispositif. Elle repose surtout sur un projet politique abordant de front la question de l’égale transmission des savoirs scolaires entre les classes sociales et les enjeux de la formation universitaire des esprits.
Cédric Hugrée
Chargé de recherche au CNRS
Laboratoire Cresppa (CNRS/Université de Paris 8 Vincennes/Saint-Denis)
Tristan Poullaouec
Maître de conférences
Laboratoire Cens (CNRS/Université de Nantes)
Notes
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