Méthodes
Descartes était très critique de l’enseignement scolastique qu’il avait reçu et notamment de la disputatio ou confrontation orale de thèses opposées qui conduisait au formalisme et à l’habileté rhétorique plutôt qu’à la recherche de la vérité. Il rédigea donc, en français et non en latin, son Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences (1637). Le point de départ consiste en une sorte d’introspection de sa propre vie intellectuelle qui lui permet de se libérer des préjugés et de ne retenir pour vrai que ce que sa raison aura effectivement pris comme tel (un principe d’évidence).
Il construit ensuite une démarche d’analyse (principe de décomposition), puis une organisation de la pensée allant du simple au complexe (principe d’ordre), enfin une attention précise pour se garantir qu’aucune étape du raisonnement n’a été oubliée (principe de vérification). La tradition scolaire française en a retenu la démarche mais en la vidant de ce qui faisait son originalité : un rapport réflexif à soi-même et à sa propre démarche de pensée. L’attention à la « méthode » trouve son expression la plus prégnante dans l’universalisation scolaire des formes de la composition et de la dissertation qui restent le modèle de très nombreuses épreuves du baccalauréat national et qui distingue le modèle français de la plupart des autres. Cette prégnance est si forte que les élèves et leurs professeurs finissent par revenir à la disputatio où la forme et l’organisation sont plus valorisées que le contenu même de la pensée.
L’excès de « dissertation » trouve son pendant dans l’excès de « méthodologie » qui pourrait laisser croire que la méthode peut s’apprendre en dehors des savoirs au service desquels elle est produite. Le socle de 2015 le dit explicitement dans son domaine 2. Plus généralement si les élèves doivent apprendre à se servir des outils du travail, notamment des outils informatiques (constatons que beaucoup d’entre eux ne le savent pas, y compris au niveau du lycée), ils doivent surtout être capables d’établir des liens entre les méthodes d’apprentissage et le sens des enseignements. L’éternel débat sur les méthodes d’apprentissage de la lecture y trouverait une issue plus positive que de laisser croire que les professeurs des écoles négligent l’apprentissage grapho-phonologique. Réduire la lecture à une mécanique sans porter attention à la production de sens risque d’enfoncer un peu plus les mauvais lecteurs dans leurs difficultés. Les évaluations internationales montrent clairement que les élèves français savent déchiffrer mais qu’ils se découragent devant des textes longs et informatifs (PIRLS 2016)
Rappelons quelques points saillants, révélateurs des habitudes pédagogiques de l’école française :
■ Les processus les plus complexes « interpréter/apprécier » baissent davantage (-21points) que les plus simples « prélever/inférer » (-8 points).
■ La baisse des performances est beaucoup plus sensible sur les textes informatifs (-22points) que sur les textes narratifs (-6 points).
■ L’écart entre les performances des élèves français et les performances des pays de l’UE est particulièrement important sur les compétences suivantes :
- Généraliser ou élaborer des inférences : écart de -15%
- Décrire le style ou les intentions de l’auteur : écart de -19%
- Comparer le texte à des lectures antérieures : écart de -19%
- Déterminer la perspective ou les intentions de l’auteur : écart de -20%
- Comparer ce qui est lu avec ce que l’on a vécu : écart de -41%
Par contre, les activités de repérage des informations montrent un écart positif pour les élèves français de +3%.
M. Blanquer et son conseil scientifique semblent n’avoir pas pris connaissance de ces résultats.
Denis Paget
Professeur de français,
Ancien membre du CSP,
Expert associé auprès du CIEP
(France-Éducation-International)
Ressource
Gauthier, R.F., Crise des programmes scolaires, vers une école de la conscience, Berger-Levrault, 2019.