Les ateliers de la domination scolaire | Stéphane Vaquero
Les ateliers de la domination scolaire,
Stéphane Vaquero,
Collection : L’enjeu scolaire, Éditions La Dispute, 2022.
Note de lecture proposée par Christine Passerieux
Stéphane Vaquero analyse en quoi les dispositifs scolaires dits horizontaux au collège et au lycée ne répondent guère aux intentions affichées d’ouverture au monde, d’« innovation » ou encore de lutte contre les difficultés scolaires. Sa recherche sur les TPE (Travaux Personnels Encadrés) est éclairante quant à la production d’inégalités scolaires qui renforcent, et cela est particulièrement intéressant, la domination culturelle mais aussi sociale des élèves des milieux populaires.
L’argumentation est étayée par une observation durant deux ans, des relations élèves/enseignants lors des heures consacrées aux TPE, par des entretiens avec des enseignants et des élèves.
Tout au long de l’ouvrage, l’auteur mène une critique très argumentée du dispositif horizontal qui active différents rapports au monde, aussi bien des enseignants que des élèves, et qui peut se traduire par un rapport de force et des processus de domination souvent invisibles pour les acteurs. Il retrace « l’histoire ambivalente des dispositifs horizontaux », héritiers de la revendication émancipatrice de l’enseignement par le concret et le quotidien des courants prolétariens, initialement critiques vis-à-vis de l’école.
Facultatifs en terminale à leur création en 2005, les TPE deviennent obligatoires en 1ère et sont menés en début d’année. Dès lors « les attendus portent moins sur des savoirs scolaires préalablement transmis, ce qui donne une plus large place aux savoirs et dispositions acquis en dehors de l’école ». L’ensemble de son travail explore les effets cumulés de micro-ségrégations qui émaillent le dispositif. Dispositif qui recèle une grande tromperie : alors que le sujet choisi par les élèves peut relever de loisirs ou de centres d’intérêts, de thématiques concrètes et quotidiennes, les élèves se découvrent disqualifiés lorsqu’ils « ne savent pas dès le départ scolariser leur sujet ». Ils se replient sur des sujets de sens commun, sans avoir les outils pour « appréhender leurs savoirs d’expérience comme de potentiels objets d’étude ». Ils « se voient assignés à accomplir des tâches » trop ouvertes, confrontés à un travail nouveau pour eux de recherche et sans bénéfice scolaire. La constitution des groupes de travail par affinités montre que les élèves de catégories populaires se regroupent dans des groupes homogènes socialement, ce qui entraîne des formes d’exclusion et une mise en concurrence. L’autonomie, l’originalité, les « qualités personnelles » sont naturalisées, sans que les modalités de travail soient connues des élèves des milieux populaires, créant ainsi de nombreux malentendus sur le regard porté sur leurs productions. L’investissement des élèves peut masquer une faible avancée de leur travail et provoquer un relâchement de l’accompagnement et des contraintes, laissant les élèves assez seuls. Les dispositifs ambigus et flous favorisent et renforcent l’individualisation quand « l’expression de soi » prime sur les contenus.
Lors des entretiens avec les professeurs, Stéphane Vaquero constate un plus fort engagement des enseignants les plus dotés socialement et culturellement, ce qui impacte leur acceptation ou non d’un sujet proposé mais aussi leur appréciation des productions des élèves. « L’impensé pédagogique de la question personnelle » est perceptible lorsque l’originalité des sujets donne à voir plus d’autonomie cognitive des “bons élèves”, dans « une forme d’affinité didactique et pas seulement culturelle » entre élèves et enseignants. Ce dispositif masque un curriculum caché, pourtant largement décrié par les travaux de la recherche en sciences de l’éducation qui ne cessent d’alerter sur la nature réelle des difficultés rencontrées par les enfants des classes populaires
Le travail remarquable de Stéphane Vaquero, tant du point de vue de sa rigueur que du point de vue des questions qu’il pose interroge le sens de la « réussite » scolaire, alors que ce dispositif réussit à tous, tout en creusant les écarts entre élèves, écarts sociaux et culturels.
L’ouvrage souligne en quoi la mise en forme scolaire des différences culturelles peut, paradoxalement, nourrir les formes contemporaines de domination scolaire, culturelle et sociale.