La rentrée scolaire 2019 est loin d’avoir été « pleinement inclusive » !
Quelques mois après la rentrée scolaire, le bilan de l’inclusion est loin de répondre aux promesses ministérielles du mois de juin. L’école ne dispose toujours pas des moyens nécessaires à la mise en œuvre de scolarités adaptées aux besoins qui seraient capables de garantir l’effectivité des apprentissages scolaires dans les perspectives d’une inclusion sociale et professionnelle.
La communication institutionnelle n’avait pas lésiné sur les formules : 2019 serait une rentrée « pleinement inclusive ». Pour cela, le ministère avait annoncé une transformation en profondeur de l’accompagnement des élèves en situation de handicap qu’une circulaire du 5 juin 2019 était censée concrétiser en se référant à l’article 24 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées de 2006.
Créer un grand service public de l’École inclusive ?
La formule d’un « grand service public de l’École inclusive » avancée par le ministère supposait une ambition que la réalité va vite décevoir. On aurait imaginé en effet que la création d’un nouveau service public de l’accompagnement des élèves en situation de handicap repose sur l’attribution de moyens spécifiques qui lui permettraient d’assumer un ensemble de missions attribuées par un cadre réglementaire.
En réalité, le « grand service public de l’École inclusive » va se réduire à un service départemental devant être organisé à ressources constantes. Sa mission première sera l’organisation, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation de la politique de scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers. C’était déjà une mission assurée par les IEN-ASH sous l’autorité du DASEN … et cela continuera à être ainsi puisqu’aucun moyen nouveau n’a été véritablement attribué pour cette mission. Quant à sa déclinaison pragmatique, comment pourrait-elle être plus efficace puisqu’elle va s’opérer à moyens constants dans des services déjà fortement mobilisés et souvent surchargés ?
Produire du chiffre
Le bilan de la rentrée présenté Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, et Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, est enthousiaste. Les ministres expriment leur satisfaction, qu’à cette rentrée, l’école inclusive soit enfin devenue un service public. Des chiffres, brandis pour témoigner de l’engagement gouvernemental dans la priorité constituée par le handicap, cherchent à faire état de cette réussite : les cellules d’accueil et d’écoute ont traité 15000 saisines en 15 jours apportant des réponses en moins de 24 heures … 18000 entretiens avec les familles ont été réalisés…
“ Sur le terrain, dans les classes, les constats sont récurrents : nous sommes loin de réunir les conditions nécessaires à l’inclusion et les problèmes les plus aigus perdurent. ”
Pourtant, face à ce bilan institutionnel élogieux, les associations parentales s’expriment plus diversement : elle se réjouissent de la création des cellules d’écoute mais constatent que la rentrée est loin des promesses faites. Quant aux organisations syndicales, la plupart s’interrogent sur la réalité des moyens engagés, doutant que la rationalisation gestionnaire des accompagnements puisse suffire à satisfaire les personnels et les parents. Sur le terrain, dans les classes, les constats sont récurrents : nous sommes loin de réunir les conditions nécessaires à l’inclusion et les problèmes les plus aigus perdurent.
Optimiser la gestion comptable des moyens
La mise en œuvre d’un nouvel instrument de gestion des moyens d’accompagnement, le PIAL (Pôle inclusif d’accompagnement localisé) laisse croire que l’essentiel de l’inclusion serait la gestion des accompagnants et tout particulièrement l’attribution sans délai d’un accompagnant. Nul doute qu’une bonne part des protestations, tant du point de vue de l’enseignant que de celui des parents, est liée à l’absence de moyens humains d’accompagnement. Mais une politique inclusive qui se baserait essentiellement sur la résolution de ce problème prend deux risques majeurs.
Tout d’abord celui d’alimenter un besoin exponentiel d’AESH qui se heurtera à la question des volumes d’emploi et à la limite des viviers de recrutement.
Ensuite, celui de laisser croire qu’une fois dotée d’un accompagnant humain, l’essentiel est fait et cela quelque puisse être la réalité de l’accompagnement face aux besoins réels de l’élève.
“ […] le PIAL est avant tout un moyen de rationalisation budgétaire qui cherchera à rentabiliser les moyens quitte à réduire les attributions horaires, ce qu’on appelle pudiquement
« mutualiser ». ”
Ainsi pensé, essentiellement dans la question de l’attribution des AESH, le PIAL est avant tout un moyen de rationalisation budgétaire qui cherchera à rentabiliser les moyens quitte à réduire les attributions horaires, ce qu’on appelle pudiquement « mutualiser ». Pour que chaque élève puisse être considéré comme accompagné et donc pour créer l’illusion de conditions suffisantes, on va réduire le temps de l’accompagnement. Au principe d’une compensation fixée, y compris dans sa quotité horaire, par l’évaluation des besoins de la personne handicapée, se substitue un principe centré sur l’optimisation comptable des moyens.
Quant à la cellule d’écoute et à sa capacité à résoudre rapidement les problèmes, il serait nécessaire d’être vigilants à ses éventuels effets sociaux : nul doute en effet que toutes les familles n’auront pas les mêmes habiletés pour la solliciter et il serait inacceptable qu’un service public puisse renforcer les inégalités de réponse inclusive aux situations de handicap en privilégiant la satisfaction des familles capables de mobiliser les stratégies adéquates.
Mépris et maltraitance des AESH
L’affirmation d’une nécessité de renforcer l’appartenance des AESH à la communauté éducative, affirmée par les circulaires de juin 2019, apparait comme un insupportable paradoxe quand on découvre que des AESH sont amenés à travailler avant même d’avoir signé leur contrat et que pour certains, ils devront attendre au moins deux mois avant de recevoir leur paye, devant se contenter d’acomptes indécents. L’augmentation de leur temps de travail sans compensation salariale ne peut qu’ajouter à leur mécontentement.
Sur le plan de l’organisation de leur travail, l’amélioration n’est pas non plus au rendez-vous. Le nouveau mode de gestion de leurs affectations a eu pour effet de fractionner leurs interventions. Il est demandé aux AESH d’intervenir auprès de davantage d’enfants, parfois dans plusieurs écoles y compris éloignées les unes des autres.
Si les progrès liés à la pérennisation des contrats sont réels, ils ne pourront satisfaire les besoins qu’au prix de la reconnaissance statutaire d’un métier spécifique et de la formation qui va avec. Or, sur cette question de la formation, malgré les promesses et les satisfecit exprimés, malgré la volonté des acteurs de terrain, l’action reste très limitée et très insuffisante pour répondre à la complexité des missions d’accompagnement.
Le lien avec le médicosocial ?
Prudemment, le ministère parle de « structurer la coopération entre les professionnels de l’éducation nationale et du secteur médico-social dans les établissements scolaires ». On pourrait croire qu’il n’y a là qu’une incitation bien légitime à développer des coopérations professionnelles centrées sur la mise en cohérence des interventions auprès des enfants. La perspective est tout autre : guidée par les volontés de réduction budgétaire des Agences régionales de santé (ARS), elle vise à remplacer les prises en charges en établissement par des inclusions en école ordinaire. Cette stratégie comptable avait trouvé quelque argument dans la prise de position de la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées[1]Catalina Devandas-Aguilar, Observations préliminaires de la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées, ONU, octobre 2017 qui avait recommandé la fermeture des établissements spécialisés. Le récent rapport du Défenseur des droits a heureusement pris une position sensiblement différente en rappelant que, si l’inclusion devait être favorisée le plus possible, scolariser tous les enfants handicapés dans des classes ordinaires pouvait constituer une forme de maltraitance[2]Défenseur des droits, Rapport Enfance et violence : la part des institutions publiques, 2019, p.70.
“ L’opposition exprimée par la rapporteuse de l’ONU entre des personnes handicapées « objets des soins » plutôt que « sujets de droits » est inacceptable tant l’accès aux droits va de pair avec le droit aux soins ! ”
L’orientation d’une politique engageant la suppression des établissements ne repose pas sur une prise en compte objective des besoins réels. De ce fait, elle est gravement irraisonnable et irresponsable. L’opposition exprimée par la rapporteuse de l’ONU entre des personnes handicapées « objets des soins » plutôt que « sujets de droits » est inacceptable tant l’accès aux droits va de pair avec le droit aux soins ! Une véritable politique inclusive en la matière aurait été de lutter contre les filiarisations excessives de la scolarisation en établissement spécialisé plutôt que de décréter idéologiquement que l’établissement était ségrégatif sans interroger la réalité des besoins des enfants.
La question des risques psychosociaux pour les personnels
Une société inclusive ne peut négliger la souffrance des uns au profit d’un intérêt exclusif pour d’autres, à moins d’exiger une abnégation portée par certaines conceptions caritatives. C’est pourquoi, il ne peut y avoir de politique éducative qui se dédouane de la question des risques psychosociaux pour les personnels d’accompagnement et d’enseignement. Or, force est de constater une dégradation inquiétante des situations de ce point de vue. Si l’inclusion est légalement inscrite dans les missions des personnels enseignants et qu’elle constitue, de ce fait, une obligation professionnelle, il n’en est pas moins nécessaire de prendre en compte la réalité des situations, d’en estimer les conséquences sur la santé physique et morale des agents. C’est d’autant plus nécessaire lorsque les incapacités d’un enfant ou d’un adolescent à intégrer les normes minimales de la vie scolaire collective empêchent l’activité professionnelle sans pour autant offrir la possibilité d’un contexte favorable aux apprentissages pour l’enfant porteur de handicap.
Esquiver la question de fond
En fait, le problème essentiel de la politique inclusive est qu’elle continue à esquiver la question de fond : peut-elle se résumer par le seul développement de la scolarisation en milieu scolaire ordinaire ? A affirmer cette forme de réponse comme un droit universel et incontournable, à vouloir le confondre avec le droit à l’inclusion, nous finissons par développer des situations des plus paradoxales. Elles se satisfont de la présence d’un élève porteur de handicap dans une classe ordinaire en acceptant qu’elle puisse, dans certaines situations, ne plus répondre à l’ambition d’une construction des compétences indispensables à garantir une citoyenneté libre et responsable. Parfois l’exigence d’un droit à la scolarité ordinaire contribue à une négligence du droit aux soins. Parfois elle masque une situation de souffrance et de maltraitance de la personne handicapée. La satisfaction d’une idéalité adulte se construit au mépris de la réalité des enfants et des adolescents.
Pour une inclusion raisonnée
La condition même d’une scolarisation fondée sur la réponse aux besoins spécifiques est celle de la diversité possible des réponses : scolarisation en classe ordinaire, scolarisation en dispositif, scolarisation en établissement spécialisé. Quel paradoxe d’affirmer la singularité des situations de handicap et des besoins particuliers qui en résultent pour refuser qu’elle nécessite une diversité de réponses !
“ La condition même d’une scolarisation fondée sur la réponse aux besoins spécifiques est celle de la diversité possible des réponses : scolarisation en classe ordinaire, scolarisation en dispositif, scolarisation en établissement spécialisé. ”
A défaut d’accepter cette nécessaire diversité des réponses, nous prendrions le risque de développer une conception dogmatique de l’inclusion où se mêleraient la satisfaction égoïste d’un discours idéaliste mais peu soucieux de la réalité des enfants et les communications opportunistes d’un gouvernement qui veut vanter son action sans la financer à la hauteur des besoins.
Face à cela, nous devons opposer l’ambition d’une inclusion raisonnée, c’est à dire d’une inclusion qui mobilise toutes les formes de structures et de dispositifs, dans la recherche de la réponse la mieux adaptée aux besoins particuliers, pour être capable de garantir les conditions du progrès intellectuel, culturel et social de l’enfant et de l’adolescent en situation de handicap.
Paul Devin
Secrétaire général du SNPI-FSU
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