École : 
de quelle(s) mixité(s) parle-t-on ?,  Erwan Lehoux,  Numéro 34

La mixité, 
au-delà d’un consensus apparent

Un consensus semble s’imposer sur les enjeux de la mixité scolaire : enjeu de socialisation, « apprentissage du vivre ensemble », traitement équitable et non-discriminant des élèves, réduction des inégalités scolaires et incidences sur les parcours scolaires, amélioration du climat scolaire, renforcement de la mixité sociale par l’école… Pour autant, la définition floue de la notion favorise la multiplicité de ses usages, au nom d’objectifs très différents, et ce faisant cette mixité revendiquée ne parvient pas à s’imposer dans l’action éducative.

La mixité : un discours politique consensuel ?

La mixité apparaît selon Étienne Butzbach et Choukri Ben Ayed comme une « politique publique non assumée1 ». Ils soulignent un effet de « stop and go » au rythme des alternances politiques, certains ministres, comme Pap N’Diaye ou Najat Vallaud-Belkacem, pour les plus récents, étant plus sensibles à la problématique que d’autres. Lors des dernières élections présidentielles, la mixité scolaire est un « angle-mort » des programmes politiques2 de droite, d’où le terme est absent. Seuls les candidats de gauche y font explicitement référence, sans nécessairement expliquer comment ils comptent effectivement renforcer la mixité à l’école, ni même préciser de quelle mixité il est question.

L’idéal de la mixité est avancé dans le cadre de la politique de la ville à partir des années 1980, dans sa traduction la plus emblématique, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000, qui fixe un quota de 20 % de logements sociaux pour les communes de plus de 3 500 habitants. Il faut attendre la fin des années 2000 pour que la question de la mixité s’impose également dans le domaine scolaire, notamment sous l’impulsion des socialistes alors au pouvoir, qui l’érigent comme principal argument contre la suppression de la carte scolaire (Barrault-Stella, 2021).

Si la question de la mixité est moins prégnante dans les années qui suivent le retour de la droite au pouvoir, elle est de nouveau mobilisée par Nicolas Sarkozy, dès la campagne de 2007. Celui-ci défend la suppression de la carte scolaire qui assignerait à résidence les enfants des quartiers populaires, bridant leurs potentiels ! In fine, c’est un assouplissement de la carte scolaire qui est mis en œuvre, avec l’octroi de dérogations prioritaires à certains élèves, notamment handicapés ou boursiers, sous réserve de la capacité d’accueil des établissements.

Suite à l’élection de François Hollande, les ministres successifs Vincent Peillon, Benoît Hamon et Najat Vallaud-Belkacem font à nouveau de la mixité un enjeu majeur des politiques éducatives. En 2016 est publié pour la première fois l’Indice de position sociale (IPS) des établissements par la DEPP. En permettant de comparer le niveau social moyen des élèves accueillis dans les différents établissements, la publication régulière de cet indicateur donne à voir des disparités notables entre établissements, selon la zone géographique, ou encore selon leur statut, public ou privé. Il est donc possible d’appréhender le degré de mixité sociale à la fois entre établissements, mais aussi en leur sein, en s’intéressant à l’écart-type de l’IPS.

L’élection d’Emmanuel Macron signe globalement un reflux de la thématique de la mixité au niveau politique. Ainsi, la mixité est convoquée comme un argument pour justifier un certain nombre de réformes. Jean-Michel Blanquer motivait par exemple la suppression des séries ES, L et S dans la voie générale par la volonté d’« offrir plus de choix aux élèves » et d’« éviter les hiérarchies artificielles entre les séries3 ».

Le passage de Pap N’Diaye rue de Grenelle ouvre une parenthèse. L’éphémère ministre place en effet la mixité au rang de priorité politique et lance en mai 2023 une « mobilisation en faveur de la mixité sociale et scolaire dans l’enseignement4 ». Mais les leviers opérationnels identifiés concernent avant tout les établissements publics, le protocole d’accord entre le ministère de l’Éducation nationale et le Secrétariat général de l’enseignement catholique, signé le 17 mai, restant très timide en matière de mixité scolaire.

Les facteurs explicatifs de l’absence de mixité

Assez consensuel en apparence, l’idéal de mixité sociale n’a en fait jamais figuré parmi les priorités politiques. À ce propos, on notera que le terme n’apparaît pas une seule fois dans les vœux présidentiels depuis 1959. Dès lors, il n’est pas étonnant que l’appel à renforcer la mixité sociale, à l’école comme ailleurs, ait tout d’un vœu pieux. Dans les faits, si certains travaux montrent une tendance à une homogénéisation du public accueilli entre les collèges publics, qui reste très relative, l’écart entre public et privé s’est accru ces dernières années5, avec un embourgeoisement marqué des collèges privés6. En ce qui concerne les lycées, on observe dans la voie générale des processus de ségrégation et de hiérarchisation jusqu’à un niveau très fin lorsque l’on s’intéresse au choix de spécialité des élèves7. En dehors de l’école, la ségrégation s’est également accentuée d’un point de vue géographique, à tout le moins dans les grandes villes, comme en témoigne une étude récente de l’Insee8, ce qui va de pair avec le renforcement de la ségrégation en fonction de l’implantation des établissements.

Plusieurs travaux scientifiques insistent sur la reproduction de la ségrégation « par en bas », en montrant que les choix privés se révèlent le plus souvent défavorables à la mixité. Les travaux d’Agnès van Zanten, entre autres, ont bien mis en évidence le rapport ambigu des familles des classes moyennes à cet idéal9 : bien que favorables à la mixité sur le principe, en cohérence avec leurs valeurs et leurs positionnements politiques, elles se méfient cependant des effets potentiellement négatifs de cette mixité pour leurs propres enfants, et privilégient sinon l’« entre-soi », du moins un « brassage contrôlé », les choix scolaires apparaissant comme un instrument de clôture sociale.

Cependant, cette explication « par en bas », quoi que potentiellement heuristique sur le plan scientifique, prend le risque d’une instrumentalisation politique, en faisant porter sur les individus la responsabilité de l’absence de mixité, voire en renvoyant les parents de gauche, qui défendent politiquement la mixité, mais qui souhaitent malgré tout le meilleur pour leurs enfants, à leurs propres contradictions. En plus d’alimenter ce discours potentiellement dangereux, la focale sur les choix privés dispense également de penser les réformes structurelles pourtant indispensables. À la limite, tout se passe comme s’il suffisait de mieux orienter les choix des familles, par des incitations positives ou négatives.

De fait, la ségrégation « par en bas » résulte avant tout d’une ségrégation « par en haut ». Au-delà des discours, de nombreuses mesures politiques ont contribué ces dernières années à la reproduction voire au renforcement de la non-mixité à l’école. L’assouplissement de la carte scolaire a surtout profité aux établissements les plus attractifs, renforçant la concurrence et les hiérarchies scolaires entre les établissements, sans améliorer la mixité sociale d’un point de vue global (Broccolichi, Ben Ayed et Monfroy, 2013). De même, la suppression des anciennes séries de la voie générale au profit d’un lycée dit modulaire, ou encore l’éclatement de l’offre et la place croissante du privé dans l’enseignement supérieur, renforcent la différenciation sociale dans les choix d’étude. L’enseignement privé a massivement bénéficié du soutien des pouvoirs publics, notamment d’un point de vue financier10 alors qu’il est beaucoup moins mixte que l’enseignement public.

De la mixité à la diversité

Se concentrant sur la ségrégation « par en bas », l’action publique affiche avant tout l’objectif de corriger les déséquilibres en orientant les choix des familles. Dans le domaine éducatif, cela se traduit entre autres par des programmes visant à cultiver l’ambition scolaire et la mobilité, chez les filles et des élèves issus des couches populaires et, in fine, à ouvrir davantage le recrutement des filières les plus prestigieuses de l’enseignement supérieur, au premier rang desquelles les grandes écoles.

Si l’effet de ces programmes sur les inégalités d’accès à ces formations semble négligeable11, il n’en reste pas moins intéressant de prendre au sérieux leur sens politique. Tout d’abord, à une politique globale se substitue une politique individualisante, supposant que ce sont les choix privés qui posent problème et non les structures et les règles du système. Dès lors, les élèves sont tenus pour responsables à la fois de leur situation personnelle et, plus généralement, des phénomènes de ségrégation dont ils sont pourtant les premières victimes. Ces programmes ne remettent nullement en cause les inégalités scolaires et la hiérarchie des filières : ils bénéficient à la marge à des enfants issus des couches populaires, ayant le plus souvent de bons résultats scolaires et auxquels sont attribués les bourses au mérite. La finalité assignée à ces programmes interroge : en effet, ce n’est pas tant le renforcement de la mixité qui est visé, et encore moins la lutte contre les inégalités sociales, mais seulement la diversification de recrutement. Il s’agit de ne pas priver ces écoles – et par la suite les employeurs – de ces talents trop souvent gâchés, avec l’idée que cette diversification serait favorable à la performance économique et à la croissance.

En définitive, ce n’est plus tant un idéal de mixité qui est affiché par la majorité des responsables politiques, mais davantage un idéal de diversité. Ce dernier entre en résonance avec un besoin de reconnaissance individuel qui s’affirme dans notre société, mais il ignore la question des inégalités sociales. L’enjeu n’est pas d’opposer artificiellement ces deux objectifs de reconnaissance et d’égalité, mais plutôt de travailler un projet politique qui allie véritablement les deux, comme le souligne Nancy Fraser (2011), comme conditions nécessaires à la justice sociale. La mixité à l’école est un impératif à partir duquel construire un projet réellement démocratique.

Erwan Lehoux
Doctorant en sciences de l’éducation
Université Paris 8, CIRCEFT-ESCOL
Membre de l’institut de recherches de la FSU

Bibliographie

Lorenzo Barrault-Stella, La carte scolaire, les inégalités et le politique. Comment rompre avec le laisser-faire de l’État ? Mouvements, 2021, 107(3), p. 14-22. https://doi.org/10.3917/mouv.107.0014

Sylvain Broccolichi, Choukri ben Ayed et Brigitte Monfroy, Quels impacts de l’assouplissement de la carte scolaire sur la ségrégation sociale au collège ? Tendances nationales et déclinaisons locales contrastées. Éducation & formations, 2013, 83, 39-58.

Choukri Ben Ayed, La mixité sociale à l’école. Tensions, enjeux, perspectives. Armand Colin, 2015. 
https://doi.org/10.3917/arco.benay.2015.01

Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution. La Découverte, 2011. 
https://doi.org/10.3917/dec.frase.2011.01

  1. Étienne Butzbach et Choukri Ben Ayed (2024). La mixité sociale : une politique publique non assumée. Administration & Éducation, 184(4), p. 29-38. ↩︎
  2. « Présidentielle 2022 : la mixité scolaire, angle mort des programmes », Le Monde, le 22 février 2022, p. 12. En ligne : https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/02/22/presidentielle-la-mixite-scolaire-angle-mort-des-programmes_6114686_3224.html ↩︎
  3. Propos prononcés lors d’une conférence de presse, le 14 février 2018. ↩︎
  4. URL: https://www.education.gouv.fr/mobilisation-en-faveur-de-la-mixite-sociale-et-scolaire-dans-l-enseignement-378203 ↩︎
  5. Marine Guillerm et Olivier Monso (2022). « Évolution de la mixité sociale des collèges », Note d’information de la DEPP, n°22-26. URL: https://www.education.gouv.fr/evolution-de-la-mixite-sociale-des-colleges-342178 ↩︎
  6. Merle, P. (2024). Embourgeoisement des collèges privés et résultats PISA. La Pensée, 419(3), 103-117. https://doi.org/10.3917/lp.419.0103 ↩︎
  7. URL : https://rers.depp.education.fr/2024/details/04_EL2D/12_SPEMAT1/04 ↩︎
  8. Mathilde Gerardin et Julien Pramil, « En 15 ans, les disparités entre quartiers, mesurées selon le revenu, se sont accentuées dans la plupart des grandes villes », Insee Analyses, n° 79, janvier 2023. En ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/version-html/6680439/ia79.pdf ↩︎
  9. Agnès van Zanten (2009). Choisir son école. Stratégies familiales et médiations locales. Presses universitaires de France. ↩︎
  10. Voir notamment Stéphane Bonnéry (2024). Favoriser l’école privée : 20 ans de politiques économiques, La Pensée, 419(3), 89-102. https://doi.org/10.3917/lp.419.0089 ↩︎
  11. Cécile Bonneau, Pauline Charousset, Julien Grenet et Georgia Thebault (2022). Grandes écoles : des politiques d’« ouverture sociale » en échec, Éducation & formations, 103, p. 156-174. https://doi.org/10.48464/ef-103-09 ↩︎