Henri Wallon dans La Pensée | Textes choisis
Henri Wallon dans La Pensée,
Textes choisis et présentés par Régis Ouvrier-Bonnaz, Jean-Yves Rochex et Stéphane Bonnéry,
Éditions Manifeste !, Collection : Dans La Pensée, Paris, 2022, 235 p.
Note de lecture proposée par Élisabeth Bautier
L’ouvrage « Henri Wallon dans La Pensée » écrit par trois auteurs, Régis Ouvrier-Bonnaz, Stéphane Bonnéry et Jean Yves Rochex est original dans sa démarche et important pour les connaissances historiques et intellectuelles qu’il développe pour la compréhension des enjeux intellectuels et politiques de l’œuvre de Wallon. Comme son titre le manifeste, il ne s’agit pas, ou plutôt pas seulement, d’un texte sur Henri Wallon ou de textes d’Henri Wallon, mais de la large présentation de 6 textes d’Henri Wallon (sur 21) parus dans la revue La Pensée, choisis par les auteurs pour leur caractère significatif des conceptions d’Henri Wallon dans différents domaines et leur portée politique, mais sans doute aussi pour la diversité de leurs objets, diversité justement intéressante car elle manifeste la cohérence d’une pensée théorique et engagée. Est ainsi montrée et explicitée par le chapitre de présentation de ces textes écrit par Régis Ouvrier-Bonnaz et Stéphane Bonnéry la construction par Wallon des conceptions de l’objet même de la psychologie, de son apport à la connaissance de l’humain en tant que sujet intrinsèquement social, de la nécessité du rationalisme, de la connaissance et de la culture. Sont ici également rendues évidentes les « discussions », de Wallon – au sens conceptuel de dispute intellectuelle – avec Pavlov ou Descartes, ou encore les raisons simultanément psychologiques et sociales de son intérêt pour le cinéma. Ce livre donne donc à connaître des dimensions de l’œuvre d’Henri Wallon peu habituelles, alors même qu’on peut y trouver le soubassement de son travail entier et la cohérence de ses engagements politiques comme intellectuels. Cette introduction à ces articles les contextualise dans les conceptions et les projets intellectuels de l’époque, l’accent mis sur l’importance des savoirs et des connaissances construites dans le rationalisme – et non l’éclectisme – (il en est ainsi du projet de L’encyclopédie de la renaissance française, qui ne pourra se réaliser) n’en est ici qu’un exemple.
La présentation de Jean-Yves Rochex, dans une perspective plus large, est de même tout à fait éclairante par ses références et ses apports historiques qui construisent le contexte de l’œuvre de Wallon. Elle permet d’ancrer la pensée de Wallon dans l’affirmation du rationalisme et dans la « mentalité marxiste », dans le « dépassement des oppositions et antinomies entre le corps et l’esprit », d’en comprendre, au-delà de ses développements théoriques en psychologie du développement et du travail, l’insistance sur la justice sociale et la culture, nécessaires à l’émancipation de chacun. Elle permet simultanément de montrer les évolutions de ce courant intellectuel marxiste, matérialiste dans ses enjeux et dans ses luttes, confronté aux différents événements dramatiques de la période. C’est en effet en référence à ces deux composantes (rationalisme et « mentalité marxiste ») qu’a été créée dès 1932 la commission scientifique du Cercle de la Russie neuve (CRN) présidée par Wallon et qu’il anime avec d’autres intellectuels, non des moindres de l’époque (Marcel Cohen, Georges Friedman, André-Georges Haudricourt, Paul Langevin, Jean-Maurice Lahy, Marcel Prenant, Jacques Solomon), puis qu’est née en 1939 la revue La Pensée, revue du rationalisme moderne, deux lieux d’échanges, de débats contradictoires concernant les conceptions marxistes.
Meilleure connaissance de Wallon donc, par la découverte, peut-être, pour le lecteur, de textes peu diffusés au-delà de la revue La Pensée qui les a initialement publiés, mais bien au-delà parce que la présentation qui en est faite introduit les éléments de contextualisation historiques et personnels qui éclairent son œuvre. En effet, ces différentes présentations inscrivent les textes choisis non seulement dans l’histoire des idées et des conceptions du développement des sujets en tant que sujets sociaux pris dans des environnements matériels, mais elles l’inscrivent également plus spécifiquement dans un projet indissociablement intellectuel et politique, individuel et collectif dont la revue La Pensée elle-même est la concrétisation. Il s’agit donc dans cet ouvrage de faire revivre « le parcours d’un intellectuel dans son contexte », parcours lui-même inscrit dans ce qu’ont pu être les débats et controverses également politiques et intellectuelles dans cette période qui va des années 30 à la mort d’Henri Wallon en 1962. À côté de l’analyse des controverses internes au Parti communiste, auquel Henri Wallon a adhéré en 1942 (un des 6 textes présentés est la conclusion du colloque « Lénine philosophe et savant » où Wallon débat à distance avec Lucien Sève, autre intervenant), l’ouvrage offre un retour bienvenu sur une histoire des idées du siècle dernier à partir de laquelle il est encore possible et même nécessaire de situer des débats d’idées plus que jamais d’actualité.
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