« Plus que d’attractivité nous préférons parler de redonner du sens à nos métiers » | Entretien avec Benoît Teste
Benoît Teste est secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire (FSU).
Les organisations syndicales dont la FSU avaient alerté, en vain, depuis longtemps des risques de pénurie de recrutement d’enseignant·es. Désormais, le constat est incontestable. Pourquoi en est-on arrivé à une telle situation ?
La première motivation de ces refus vient bien évidemment des restrictions budgétaires dans lesquelles les politiques de recrutement s’inscrivent. Nous avons alerté de longue date sur le fait qu’il s’agissait de politiques à courte vue. In fine, les économies de bout de chandelle réalisées en sous recrutant et en refusant de revaloriser les professions de l’enseignement se ressentent sur la société, sur l’économie, bref, les sommes économisées dans l’immédiat sont le prix des crises à venir.
La deuxième série de motivations est idéologique : qu’y a-t-il derrière les larmes de crocodiles versées sur la difficulté à recruter des enseignants ? En réalité, on a longtemps négligé la revalorisation financière et symbolique des métiers de l’enseignement par mépris pour leur importance sociale. Personne ne s’est véritablement inquiété de la baisse du vivier pourtant facilement identifiable en amont, car on a pensé qu’on pourrait toujours recourir, y compris à la dernière minute, à des personnels précaires. Or, même ce vivier-là s’est tari.
Quelles décisions politiques seraient nécessaires pour infléchir cette pénurie croissante et faire renaître une attractivité pour les métiers enseignants ?
Un ensemble de mesures coordonnées sont nécessaires. Plus que d’attractivité nous préférons parler de redonner du sens à nos métiers. Cela passe par une revalorisation des salaires et des carrières à la hauteur de l’utilité sociale des métiers, en effet le salaire dit en grande partie l’importance que la société accorde à une mission. Cela passe aussi par de meilleures conditions de travail, et en particulier par le fait de redonner du temps pour véritablement exercer le cœur des métiers de l’enseignement. Enfin, la question de l’objectif que l’on assigne au système éducatif est elle aussi au cœur du sujet, redonner du sens et de la valeur à nos métiers, c’est permettre aux personnels d’être fier·es de ce qu’ils et elles font, et donc que la République croit davantage à son école comme lieu d’émancipation par les savoirs, permettant à chacun de trouver sa voie, à rebours des objectifs plus ou moins avoués de tri social qu’on assigne en réalité au système.
D’un autre côté, les démissions et les intentions de démissions ne cessent d’augmenter. Peut-en en mesurer l’importance et en connaître les motivations ? Faut-il y voir seulement une évolution dans l’air du temps, selon lequel les nouvelles générations n’auraient plus envie d’exercer un même métier tout au long de leur vie ?
C’est un phénomène complétement corrélé avec l’absence de reconnaissance décrit plus haut. Il est plutôt inquiétant, et se manifeste désormais à tous les stades de la carrière alors qu’auparavant, il existait surtout dans les toutes premières années et était le fait de personnes qui réalisaient qu’ils et elles n’avaient pas choisi le métier qui leur correspondait, cela arrive. Mais nous ne croyons absolument pas au développement d’une absence d’envie d’exercer le même métier tout au long de la vie. Bien sûr que l’envie de changer existe, mais pourquoi existerait-elle davantage qu’avant ? Et surtout, pourquoi cette envie de changer ne se traduirait-elle pas par une volonté d’évolution au sein du même métier ou de la même institution ? Or, plutôt que de proposer des évolutions de carrière et une diversification des métiers, la volonté d’évoluer qui est celle des personnels est aujourd’hui instrumentalisée pour remettre en cause la notion même de carrière, dans le but que l’enseignement devienne un « job » banalisé, qu’on fait quelques années seulement avant de partir vers de nouveaux horizons. C’est une vision très « start up nation » qui ne correspond pas à la réalité et au besoin de temps long que nécessite l’enseignement.
Quelles qualités seraient nécessaires à la formation initiale et continue pour que les enseignant·es ne désespèrent pas de l’exercice de leur métier ?
Enseigner est un métier qui s’apprend. Voilà un slogan que la FSU est fière de porter, fière car cela ne va pas de soi : au fond, reproduire quelques gestes professionnels « de base » dont on se souviendrait du temps où l’on était soi-même élève, ou en les recopiant sur la base de l’observation des pratiques d’un tuteur dont on observerait quelques séquences, voilà qui finalement pourrait suffire dans l’esprit de certains. Et comme, par ailleurs, ce type de formation ne coûte pas bien cher, les politiques ont plutôt eu tendance à aller dans ce sens. C’est le sens des discours valorisant la « formation de terrain » : jetons les stagiaires « dans le bain », ils et elles tâtonneront peut-être un peu au départ, mais ils et elles apprendront sur le tas…voilà qui en dit long de méconnaissance de ce qui se joue dans l’acte d’enseigner, du haut niveau de qualification que cela requiert, de l’importance qu’il y a à pouvoir avoir un retour réflexif sur son enseignement pour le faire progresser.
Donner une formation ambitieuse passe par le fait de sortir de l’infantilisation qui a trop souvent prévalu : enseigner nécessite une véritable qualification, pas l’adoption d’une posture morale.
Développer la formation continue est également un enjeu majeur, très largement ignoré.
Quels sont les risques d’une compensation croissante du déficit de recrutement par un recours à des contractuels ?
Le risque est de voir se développer durablement une fonction publique à deux vitesses mais aussi un service public à deux vitesses : la concurrence entre deux statuts de personnels est délétère, et on ne peut accepter qu’une catégorie de personnels, les contractuels, aient des droits restreints. Comment, par exemple, se projeter dans un métier exigeant quand on n’a même pas l’horizon de l’année scolaire sur son contrat, qu’on est sur plusieurs écoles ou établissements, qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait pour soi-même et qu’on est très mal rémunéré, sans perspective d’évolution ? Par ailleurs, on voit que c’est sur les missions les moins valorisées, dans les écoles et établissements les plus difficiles, qu’on recrute le plus de précaires, c’est un renforcement inacceptable des inégalités qui se joue.
À terme, le recrutement par contrat pourrait devenir la norme et le statut disparaître. Nous sommes particulièrement échaudés qu’en lieu et place d’une revalorisation des salaires, le ministre propose, en contrepartie de travail supplémentaire, ce qu’il nomme un « pacte » pour ne pas dire un contrat.
Il y a de ce point de vue, quelque chose de très cohérent dans la proposition de « revalorisation » des enseignants (et d’ailleurs, d’eux seuls, les autres personnels concourant au service public d’éducation ayant été honteusement oubliés) : le discours sur les « 2000 euros en début de carrière », vitrine plus ou moins alléchante, a un corollaire qui n’est pas mis en avant par le ministère mais qui est bien réel : 2000 euros au début, mais aussi plus ou moins la même somme durant toute la carrière, faisant disparaître la notion même de carrière, et revalorisation uniquement les années où chacune et chacun « s’investira davantage » par le biais d’un « contrat » de gré à gré avec un supérieur hiérarchique, c’est le « pacte ». La FSU combat cette logique qui ne correspond en rien aux attentes des collègues et aux besoins du service public d’éducation.
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