Devenir et rester enseignant ?,  Muriel Coret,  Numéro 28

Formationdes enseignant·es : chronique d’une dégradation annoncée

Après trois années de pseudo-concertations, la rentrée 2022 a vu la mise en place des derniers éléments de la « réforme » de la formation des enseignant·es et CPE (FDE). Cette réforme est le dernier avatar d’une litanie « réformatrice » entamée voici plusieurs années, qui se caractérise notamment par un dessaisissement de l’agir des personnels et une dévolution au terrain pour tout ce qui concerne la formation.

Une très large majorité d’acteurs et actrices de la formation font le constat d’une dégradation désormais chronique de la FDE – même si selon les académies, les sites, les disciplines, voire d’un parcours à l’autre au sein d’un même Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPÉ), les situations peuvent diverger. On a certes pu observer des avancées avec une dimension universitaire de la formation affichée plus clairement qu’auparavant lors de l’intégration des IUFM aux universités. On peut aussi noter, ici ou là, des améliorations par rapport à la situation des années 2000 : une dimension professionnalisante plus présente dans la formation des enseignant·es du 2d degré, une reconnaissance de la didactique comme composante nécessaire de la formation, un resserrement des liens avec la recherche et une meilleure intégration des enseignants-chercheurs impliqués dans la FDE aux équipes de recherche et laboratoires universitaires locaux… Il n’en demeure pas moins qu’au fil des années les équipes ont dû partout faire face à une diminution des moyens et ont rencontré des difficultés croissantes à élaborer et mettre en œuvre des maquettes de formation cohérentes, compte tenu à la fois de l’augmentation des temps de pleine responsabilité de classe(s) des étudiant·es et stagiaires, de la réduction des volumes de formation et des injonctions multiples et contradictoires sur les contenus (celles de la « réforme » Blanquer par exemple). S’ensuivent notamment : difficulté des universités à organiser la formation, compte tenu des contraintes imposées par le ministère de l’Éducation nationale (MEN), lourdeur de l’année de M2 pour les étudiant·es, difficulté à trouver des lieux de stage et des tuteur·rices formé·es à proximité des lieux de formation, etc.

Les causes et les conséquences de ces difficultés sont multiples mais l’élément central découle de la remise en cause de la dimension universitaire de la formation à travers la construction d’une opposition caricaturale entre formation et « terrain ». Le MEN est donneur d’ordre, pour une formation pourtant inscrite dans le cadre d’un diplôme universitaire (master MEEF), censé être sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur (MESR). À travers lois, arrêtés, circulaires, le MEN, en tant que futur employeur des étudiant·es, impose aux équipes un modèle où le « terrain » renvoie la formation à la périphérie : il ne s’agit alors que d’“aider” les étudiant·es ou stagiaires à “prendre la classe”. C’est bien le sens de l’injonction à faire assurer le tiers de la formation par des enseignant·es en responsabilité de classe(s), seul·es à même de répondre aux “besoins” des étudiant·es et stagiaires, “besoins” définis par le seul MEN.

Les effets d’une telle représentation s’observent sur les contenus de la formation, les conditions d’études et d’entrée dans le métier, comme sur les structures de formation elles-mêmes.

Dégradation des contenus et des modalités de la formation

Avec sa « réforme » amorcée en 2017, le MEN dicte sa vision de la formation : resserrement sur les « fondamentaux » (jamais définis mais imposés pour 50% de la formation des PE par exemple), minoration du didactique, priorité au seul « terrain » sur lequel intervient l’étudiant·e ou stagiaire sans s’assurer des conditions notamment de temps, de préparation et d’analyse qui permettraient d’en faire un véritable élément de formation. Tout cela donne lieu à de multiples interprétations et une grande confusion. Les maquettes résultant de cette première série de contraintes, élaborées dans l’urgence et souvent sans réelle concertation, ont d’ailleurs dû être plusieurs fois modifiées, au fil des annonces des divers « modules » que le MEN a imposés par la suite, jusqu’au printemps 2022 (« laïcité » et « valeurs de la république », « égalité filles-garçons », etc.).

Tout cela contribue à émietter les maquettes, dépossède les équipes universitaires de leur expertise et réduit la formation à une adaptation à l’emploi – très relative compte tenu de la complexité du métier. Cela crée aussi une forte variation entre les lieux de formation, les arbitrages étant finalement reportés à des décisions prises localement.

La situation n’est pas meilleure après le concours, désormais positionné en fin de M2. Pour les fonctionnaires stagiaires à mi-temps (sans master MEEF, ni formation, ni expérience) ou à temps plein (titulaires d’un master MEEF ou ayant exercé plus de 18 mois comme contractuel·les), l’écrit de type “mémoire” n’est plus exigé, la formation est réduite : 220 à 250 heures pour les premiers (maquette du diplôme interuniversitaire), dix à vingt jours selon les académies pour les seconds. Là encore, c’est dans une totale confusion que les parcours ont été élaborés, après la rentrée et sans garantie de moyens ni de cohérence des contenus ou de continuum avant et après master. Les stagiaires – et avec eux les enseignant·es contractuel·les recruté·es pour pallier le manque d’enseignant·es, qui n’ont le plus souvent aucune autre formation que quatre à cinq jours la semaine précédant la rentrée – sont “invité·es” à se tourner vers toutes sortes de ressources en ligne et autres guides prêts à l’emploi qu’ils découvriront au hasard de leurs navigations sur le web (« posture d’autorité », « éthique professionnelle », « bien utiliser sa voix »…).

Le ministère déprofessionnalise les enseignant·es en même temps qu’il ouvre des journées de formation dans le cadre des Écoles académiques de formation continue (EAFC) pour apprendre à gérer le stress.

Dégradation des conditions d’études et d’entrée dans le métier

Pour les étudiants·es qui se préparent au concours et aux métiers de l’enseignement, un certain nombre de modifications sont également survenues ces dernières années, concernant la position des concours, leurs contenus, les modalités de stage, la part de responsabilité de classe pendant la formation, leur propre statut… Ces modifications successives, qui actent l’allongement de la durée de la formation sans solution de financement pour étudier, témoignent là encore d’une forme de tâtonnement.

Pour les étudiant·es de master MEEF, les conditions d’études sont très dures, particulièrement en M2. En quelques mois, ils et elles préparent le concours, effectuent un stage équivalent à un tiers temps de service, valident le master. C’est particulièrement lourd pour celles et ceux qui “choisissent” le stage en responsabilité de classe(s), rémunéré 865 euros brut par mois, et à qui rien n’est épargné : distance entre berceau de stage et lieu de formation, classes à double niveau pour les PE, moyens de suivi et d’accompagnement notoirement insuffisants… Ces étudiant·es qui prennent seul·es la classe lors de leur master (avant le concours, donc), bénéficient au mieux de deux ou trois visites de formateurs de l’INSPÉ par an et disent souvent avoir des difficultés à trouver du temps pour travailler avec leurs tuteurs et tutrices « terrain » (qui ne sont pas déchargé·es pour ce suivi). Certain·es PE peuvent se trouver “cantonné·es” à certaines disciplines ou chapitres faute de temps et d’expérience pour construire, avec le·la titulaire de la classe, une réelle cohérence dans la programmation et les enseignements. D’autres, professeurs de collèges et lycées, ont plusieurs niveaux de classe et un tuteur en dehors de leur établissement…

Les stages sont, d’une part, très inégaux par nature et, d’autre part, ne sauraient constituer en eux-mêmes une formation quand manquent le temps et les outils nécessaires pour penser, préparer et analyser la pratique au sein de collectifs universitaires. Peu importe, pour le MEN il s’agit de rentabiliser les moyens d’enseignement que les étudiant-es représentent.

Remise en cause de la structure de formation et maltraitance des personnels

Depuis les années 2010, le statut même de la structure de formation (IUFM-ÉSPÉ-INSPÉ) a été plusieurs fois modifié. Les INSPÉ d’aujourd’hui ne sont pas des composantes comme les autres au sein des universités : les représentant·es des personnels sont minoritaires dans les instances, qui ne sont plus du tout consultées pour la nomination de leur directeur·trice. Sur le plan symbolique, le message est clair : pas question que les personnels aient la main. Sur le plan démocratique, c’est un dessaisissement de leur pouvoir d’agir. Non contents d’avoir écarté les personnels des décisions, les ministères leur ont aussi imposé diverses mesures, aussi arbitraires que contre-productives.

Des structures concurrentes

Le passage de l’ÉSPÉ à l’INSPÉ, quelques années seulement après la transformation de l’IUFM en ÉSPÉ, était censé affirmer le caractère “national” de la formation. Mais le MEN lui-même ne semble pas convaincu de son souci d’harmonisation puisqu’il multiplie les structures et dispositifs concurrents, brouillant considérablement la lisibilité des parcours tout en affirmant vouloir la renforcer.

Ainsi, le MEN a-t-il “inventé” :

  • les Parcours préparatoires au professorat des écoles (PPPE) qui concurrencent les UE de préprofessionnalisation des Licences universitaires, en proposant à quelques futur·es PE des parcours mixtes (lycée/université) adossés à des licences diverses selon les académies. Outre le risque de décrochage entre 1er et 2d degrés, le caractère très sélectif et “tubulaire” de la formation, on peut aussi légitimement s’interroger sur les contenus… décidés sans aucune concertation ;
  • les e-INSPE (“INSPÉ numériques”), qui n’ont d’INSPÉ que le nom, puisque ce ne sont pas des composantes universitaires, vont piloter et mettre en œuvre la formation continue en ne proposant que du “tout à distance”. Cela pose évidemment la question du caractère universitaire de la formation, mais aussi de l’existence de collectifs de métiers et du risque que le MEN étende ce modèle, plus facilement “contrôlable” et moins coûteux, à la formation initiale ;
  • les École académique de la formation continue (EAFC), enfin, issues du Grenelle de l’Éducation, qui seront « conceptrices et actrices de la formation continue au niveau des académies », sans que le rôle de l’INSPÉ soit clairement défini en leur sein.

Ces nouvelles structures de “formation” des enseignants ont en commun de contribuer à “sortir” la FDE de l’université, tout en créant une forme de concurrence délétère à l’intérieur même du service public – mettant en danger le fondement scientifique de la formation, son caractère universitaire et l’indépendance académique, qui la fondent et la légitiment.

Une ingérence dans le fonctionnement universitaire

Dans le même temps, le MEN impose ses critères pour la constitution des équipes “plurielles” : il modifie les règles du recrutement universitaire en imposant qu’un tiers de la formation soit assurée par des enseignant·es en responsabilité de classe sans que les INSPÉ aient la main sur le recrutement de ces collègues. Cette injonction repose sur l’idée que seul·es les enseignant·es en responsabilité de classe seraient légitimes à former mais aussi qu’ils et elles sont interchangeables : être reconnu·e “bon·ne enseignant·e” suffit à faire de soi un·e “bon·ne formateur ou formatrice” – sans prendre en compte les profils et domaines d’expertise de chacun·e, la cohérence de la formation, le travail d’équipe. Cette mesure, qui ne s’accompagne d’ailleurs d’aucun modèle économique, déséquilibre in fine les équipes, quand elles existent encore. Dans le même temps, les collègues doivent répondre à de multiples sollicitations pour toutes les formes d’un tutorat mal rémunéré, peu reconnu, quand il n’est pas empêché – sans moyens de remplacement ni de formation.

Dans ce système chaotique et très peu lisible finalement, les étudiant-es sont mis·es en responsabilité de plus en plus tôt, moins formé·es et peu accompagné·es, les conditions de formation et d’entrée dans le métier se sont détériorées et les formateur·rices et tuteur·rices sont sous pression. À la dégradation réelle de la FDE, dans un contexte de crise d’attractivité du métier, le MEN répond par le recrutement de contractuel·les en job dating. S’agit-il toujours de former des enseignant·es concepteurs et conceptrices de leur métier, des professionnel·les critiques ou de conformer des exécutant·es à des directives et autres lubies ministérielles, en façonnant simplement une force de travail ? Telle est la question, tel est l’enjeu ! Parce que la qualité de la formation des enseignant·es est une condition sine qua non de l’élévation du niveau d’instruction de la population, et donc de la capacité de ses membres d’exercer pleinement leur rôle de citoyen.

Muriel Coret
Collectif « Formation des enseignant·es » du SNESUP-FSU