Enseignants. De la vocation au désenchantement | Sandrine Garcia
Sandrine Garcia,
Enseignants. De la vocation au désenchantement,
La Dispute, 2023
Note de lecture proposée par Christine Passerieux
Dans cet ouvrage Sandrine Garcia s’appuie sur une enquête menée de 2015 à 2020 auprès d’enseignants démissionnaires du premier degré pour analyser comment « les politiques de rationalisation dans différents secteurs du service public » agissent dans l’éducation. Son enquête approche au plus près les effets délétères de ces politiques sur les conditions de travail et leurs incidences dans le quotidien quand les enquêtés disent « ne plus pouvoir », lorsque les difficultés deviennent insurmontables et que l’on n’a pas d’outils pour les affronter.
L’autrice montre que les mobiles individuels qui conduisent à faire le choix de l’enseignement, se construisent en amont mais aussi dans l’exercice même du métier (essentiellement féminin). Choix mis à l’épreuve d’un néolibéralisme brutal qui en même temps qu’il trie et sélectionne les élèves, malmène jusqu’à les faire fuir, de plus en plus d’enseignants ou de personnes désireuses de l’exercer.
Le premier chapitre s’attache à l’hétérogénéité des démissionnaires, surtout masculins, aux ressources qui leur ont permis de le faire alors que d’autres sur les mêmes ressentis ne le peuvent. L’attitude de l’administration, lorsqu’ils partent, renforcent leur sentiment de n’être et n’avoir été « qu’un numéro ».
Sandrine Garcia décrypte ensuite les modalités de rationalisation du travail et de ses conséquences : réduction du nombre d’enseignants ; « inclusion » sans aucun moyen pour qu’elle soit effective ; « modifications de programmes au gré des couleurs politiques » ; injonctions répétées et contradictoires ; transposition des pratiques managériales du privé ; culture de l’évaluation au service du pilotage du système ; accroissement du temps de travail périphérique contraint… La liste est longue alors que la formation est exsangue et se concentrent les facteurs de pénibilité qui produisent par rebond un creusement des écarts entre élèves. Le ressenti est massif : le métier est empêché. L’enquête auprès des démissionnaires rend perceptible ce qui abîme l’ensemble des enseignants et fait écho au travail de Yves Clot pour qui « seul le travail que l’on peut prendre à cœur est supportable. Le reste est pathogène ».
« Vous êtes fonctionnaires vous devez fonctionner » ou encore « on ne vous demande pas de réfléchir, on vous demande d’appliquer ». La violence des ces propos tenus par des cadres, eux-mêmes astreints à exécuter (et certains sans difficultés), illustre combien l’idéologie néolibérale est dévastatrice quand le métier des enseignants est totalement transformé. Comment engager des élèves dans un processus émancipateur lorsque sa propre émancipation est interdite ?
Sandrine Garcia, dans sa conclusion, alerte « sur la remise en cause progressive du statut de la fonction publique » lorsque l’État se désengage de ses devoirs. Pour s’en convaincre il suffit d’écouter le dernier ministre qui affirme que l’École publique vise à « empêcher l’explosion de la violence » et à « civiliser des individus ». Exit le savoir pour tous ! L’école est donc bien au cœur d’un projet de société. Mais Yves Clot est là pour nous rappeler que « la subordination ce n’est pas bon pour la santé, pas bon pour le pays, pas bon pour la démocratie ».