Édito | Corps, éducation et société
C’est par le corps que nous sommes au monde. Et c’est dans notre rapport au monde que nous devenons corps à la fois singulier et pluriel. Être et devenir : c’est dans les tensions et les contradictions des relations que nous établissons entre l’individuel, avec sa part irréductible d’intime et de social mêlés, et le collectif (familial, scolaire, social…) que nous pouvons nous construire, nous réaliser comme êtres humains, comme « corps-personnes ».
Le corps est toujours au cœur des rapports sociaux qu’engendre tout système économique. L’actuel capitalisme néolibéral n’échappe pas à cette règle. « Corps-machines » qui interrogent les conditions sociales pratiques de leur mise en travail. « Corps-marchandises », objets de consommation, normés, normalisés, mis sur le marché pour satisfaire la recherche de profit et les « retours sur investissement ». Corps humiliés, rejetés, au nom d’inégalités prétendues « naturelles » alors qu’elles sont socialement et historiquement construites au service de rapports de domination…
La multiplicité des processus de domination, d’exploitation et d’aliénation des corps entrave la venue de l’être humain, sa réalisation comme corps-personne. La question de l’émancipation humaine impose alors de poser celle de l’émancipation des corps dans des termes qui rendent compte de la complexité des rapports que nous tissons entre l’intime et le social.
Si l’on considère que l’éducation a, entre autres objectifs, celui de permettre l’appropriation par tous de savoirs rendant possible une émancipation indissociablement individuelle et collective, alors doit être posée dans toute sa complexité la question de la place du corps, des corps, à l’école, ainsi que celle de ce que cette place dit d’un projet de société.
Dans la diversité des contributions de ce numéro, se dessinent quelques enjeux politiques, sociaux, idéologiques et pédagogiques de cette place. Quelles sont les évolutions des représentations du corps dans la société et son institution scolaire ? De quelle conception du corps est porteuse la laïcité ? A propos de la « méthode de Singapour », quels sont les enjeux de la manipulation dans les apprentissages ? Comment la place à l’école des enfants en situation de handicap interroge le « tous capables » ? Savoirs ou « éducations à » ? Corps et genre dans le système scolaire ? Quels enjeux pour l’EPS ? Telles sont quelques unes des pistes explorées dans ce numéro, avec toujours la volonté de contribuer au nécessaire travail collectif de réflexion qu’exige la mise en œuvre d’une école au service de l’émancipation humaine.
Patrick Singéry
Membre du comité de rédaction de Carnets rouges