Benjamin Moignard,  Numéro 16,  Quand le libéralisme se saisit de l'école

Des dispositifs pour prendre en charge les élèves « perturbateurs ». La tentation de la sous-traitance.

Les dispositifs de prise en charge des élèves désignés comme « perturbateurs » se sont largement développés depuis le milieu des années 1990 : ateliers relais, classes relais, école de la seconde chance, établissements de réinsertion scolaire, micro-lycée… des services d’actions municipaux ou départementaux. Ils ne s’adressent pas toujours aux mêmes publics, ne mobilisent pas les mêmes formes de prises en charge ni les mêmes professionnels, mais visent tour à tour ou concomitamment à lutter contre l’échec scolaire, à réduire la violence à l’école ou à remédier au décrochage scolaire[1]S. Bonnéry, Un « problème social » émergent. Les réponses institutionnelles au « décrochage » en France. Revue Internationale d’Education, 2004. Le public ciblé est presque systématiquement assimilé à des « problèmes de violences ou de comportements » qui viennent perturber l’ordre scolaire[2]M. Esterle-Hedibel, Absentéisme, déscolarisation, décrochage scolaire, les apports des recherches récentes, Déviance et société, 30, n 1, 2006, alors que les internats de réinsertion scolaires visent explicitement « la prise en charge des élèves perturbateurs ».

Même si l’école garde souvent la main, ces dispositifs marquent une mobilisation nouvelle de l’échelon local dans la définition des politiques éducatives et la prise en charge des élèves les plus en difficultés dans l’école. Ils s’insèrent dans ce qu’Anne Barrère[3]A. Barrère, La montée des dispositifs : un nouvel âge de l’organisation scolaire, Carrefours de l’éducation, 2013 qualifie plus largement de « nouvel âge de l’organisation scolaire », la forme des dispositifs étant privilégiée pour répondre à un certain nombre de contraintes locales et aménager de nouvelles réponses. Ce sont des associations communautaires ou de proximité, des mouvements d’éducation populaire et d’empowerment, des municipalités, qui soutiennent et financent même parfois tout ou partie de ces espaces de prises en charge, marquant l’avènement de ce que Choukri Ben Ayed désigne comme « un nouvel ordre éducatif local »[4]C. Ben Ayed, Le nouvel ordre éducatif local. Mixité, disparités, lutte locale. Presses Universitaires de France, 2009. Les collectivités territoriales en particulier, investissent largement depuis une quinzaine d’années bientôt l’espace de l’école ou la prise en charge de certaines catégories d’élèves. Ce mouvement est ancien et a même caractérisé une partie de la politique nationale d’éducation prioritaire par exemple, qui a fait de la mobilisation des ressources locales un levier de changement et d’actions contre les inégalités de réussites scolaires[5]A. Van Zanten. L’école et l’espace local  : les enjeux des zones d’éducation prioritaires. Presses universitaires de Lyon, 1990. En revanche, le périmètre et le nombre de ces dispositifs locaux qui s’adressent à certaines catégories d’élèves sont d’une ampleur nouvelle. Généralement présentés comme un moyen de participation active à la réduction des inégalités sociales de réussite à l’école, d’amélioration des conditions de scolarisation sur le territoire, ces dispositifs ciblent en particulier les élèves perçus comme en difficultés ou en échec, au premier rang desquels figurent ceux qui sont identifiés comme perturbateurs. Cette contribution s’appuie sur plusieurs enquêtes que nous avons menées sur cette nouvelle forme d’organisation scolaire que sont les dispositifs[6]B. Moignard, & S. Rubi, Des dispositifs pour les élèves perturbateurs : les collèges à l’heure de la sous-traitance, Carrefours de l’éducation, 2013. B. Moignard, & S.Rubi. Les figures de la déviance à l’école  : les “élèves perturbateurs” comme analyseur de la transformation des milieux éducatifs et scolaires. Education et sociétés (41). 2018. https://doi.org/10.3917/es041.0043, à partir de l’étude de la prise en charge de collégiens temporairement exclus dans des dispositifs de remédiation scolaire.

Des dispositifs hors l’école

C’est dans ce contexte que se développe dans plusieurs départements et dans de nombreuses villes, dans des dispositifs externalisés à l’école, la prise en charge de l’accueil des collégiens exclus temporairement que nous avons plus particulièrement étudiée. Ces dispositifs sont portés pour la plupart par une municipalité et un de ses services, au travers de l’équipe du Programme de Réussite Educative, du Service Jeunesse, de celui de la Politique de la ville, du Centre Communal d’Action Sociale, et quelques fois aussi par des associations locales. Chaque dispositif accueille potentiellement les élèves des différents collèges de sa ville d’implantation. Précisons que l’immense majorité des élèves envoyés dans le dispositif sont exclus pour des manquements aux règlements intérieurs, très souvent des bagarres ou une attitude jugée irrespectueuse à l’égard d’adultes de l’établissement. S’il y a ponctuellement des élèves sanctionnés pour absentéisme, c’est bien autour des enjeux de socialisation scolaire liée à l’incorporation des normes de comportement attendu par l’institution que s’organise l’essentiel des contenus proposés. Si aucun dispositif ne propose précisément les mêmes contenus d’activités aux élèves, on note cependant une déclinaison massive de séquences consacrées à la compréhension de la sanction, à l’appropriation des règles dans l’établissement et à un travail sur le comportement attendu à l’école. Des compléments à ces activités centrales sont proposés autour d’ateliers sportifs, artistiques, de groupes de discussion, de théâtre, de travaux de solidarité par exemple. Les dispositifs accueillent de 5 à 10 élèves maximum simultanément, en revendiquant une approche individualisée des parcours en fonction des besoins identifiés.

Retenons également que ce ne sont pas des enseignants, mais des professionnels de l’action éducative, du travail social et des psychologues qui sont en charge de ces accueils qui s’étalent sur une durée de trois à huit jours, dans des locaux spécifiques presque systématiquement extérieurs aux établissements scolaires. Ces dispositifs sont présentés comme une réponse à un besoin identifié sur le terrain, qui aide les établissements scolaires dans la gestion des élèves désignés comme perturbateurs, alors que ces actions doivent être aussi l’occasion pour leurs instigateurs de mieux prévenir, à une grande échelle, le décrochage et la délinquance juvénile.

“ Il ne faudrait pas, dans les quartiers populaires en particulier, que cette confrontation des mondes scolaire et juvénile en vienne à légitimer des formes de mise à l’écart institutionnalisé qui signent finalement une exclusion durable du monde scolaire. ”

Nous sommes loin désormais de la seule expérimentation locale. Plus de la moitié des collèges de Seine-Saint-Denis ont accès à un dispositif de ce type porté par plus d’une vingtaine de municipalités et le Conseil Général, alors que nous avons également recensé 14 villes dans l’Essonne[7]Cette recension n’est pas exhaustive sur chacun des départements : d’autres villes de ces territoires qui ne rendent pas particulièrement visibles ces dispositifs pourraient sans doute être également comptabilisés, 9 dans le Val-de-Marne, 7 en Seine et Marne, toujours sur des territoires relativement défavorisés, où ce sont les services municipaux ou des associations à financement municipal qui les développent. Ces dispositifs sont par ailleurs particulièrement valorisés par les collectivités, et sont régulièrement présentés comme « exemplaires », incarnant à eux seuls la mobilisation nouvelle de l’échelon local face aux difficultés « concrètes » liées aux contextes scolaires de ces territoires. La mise en place depuis 2013 des Projets Educatifs Territoriaux (PEDT), est sans doute un signe de cette incursion nouvelle des collectivités locales dans l’école : plus question de se cantonner à l’entretien des locaux, il faut améliorer la réussite des élèves, lutter contre le décrochage scolaire, promouvoir l’usage des nouvelles technologies à l’école, etc. La multiplication de ces dispositifs marque une tendance forte de l’école à externaliser la prise en charge de certaines catégories d’élèves qui ont pourtant sans doute besoin de plus d’écoles que les autres pour avancer. Il ne s’agit pas de minorer le poids de la difficulté à faire la classe dans certains établissements ; mais il ne faudrait pas, dans les quartiers populaires en particulier, que cette confrontation des mondes scolaire et juvénile en vienne à légitimer des formes de mise à l’écart institutionnalisé qui signent finalement une exclusion durable du monde scolaire.

C’est ainsi que se développent dans des villes ou des territoires plutôt populaires, des dispositifs locaux de prise en charge des élèves exclus temporairement, qui viennent illustrer l’avènement des nouvelles frontières de la prise en charge ciblée de cette catégorie des élèves dits perturbateurs, issus des milieux populaires. Si nous les avons étudiés dans plusieurs départements, nous nous focaliserons dans les résultats présentés sur le cas de la Seine-Saint-Denis, qui est sans doute un département précurseur dans les usages et le développement de dispositifs d’appui à l’école.

Des dispositifs externalisés : une délocalisation des usages normatifs de l’école

Le postulat pédagogique sur lequel s’appuient ces dispositifs est celui de la prise en charge individuelle des élèves, marquée à la fois par un affaiblissement des structures d’éducation populaire qui n’assurent plus le rôle d’encadrement de toute une frange de jeunes issus des quartiers populaires[8]F. Lebon, & E. Lescure, L’éducation populaire au tournant du XXIe siècle. Éditions du Croquant., 2016, et par une transformation des référentiels des professionnels de l’intervention sociale qui pensent désormais la relation d’aide à partir d’une posture d’accompagnement qui vise à « responsabiliser les usagers ». Isabelle Astier rappelle ainsi la tendance des politiques sociales depuis le milieu des années 1990 à promouvoir une logique de reconnaissance des formes de réalisations de soi, qui incite les professionnels du social à travailler la capacité d’un individu à se doter des ressources nécessaires pour infléchir le cours de sa vie ou surmonter une difficulté[9]I. Astier, Les nouvelles règles du social, PUF, 2007. En d’autres termes : l’assistance et la relation d’aide se méritent. C’est tout à fait l’esprit qui anime ces dispositifs de prise en charge des élèves exclus : même si l’école est souvent pointée du doigt dans son incapacité à réguler seule ses difficultés, il n’est pas question de remettre en cause la légitimité des sanctions ou sa capacité à intégrer une frange non négligeable des élèves issus de certains milieux sociaux. C’est l’élève, et lui seul, qui doit faire la preuve de son adaptabilité à une forme de socialisation scolaire réduite à un strict enjeu d’intégration et d’acception des exigences normatives de l’école en termes de posture et de comportements, plutôt que considérée à partir des processus de construction des manières d’agir et de penser engageant une réceptivité et une appropriation par les élèves.

C’est ainsi que se décline toute une série d’activités dédiées à des formes de « resocialisation » organisée sur le principe de l’intégration par l’élève des règles de conduite liées au maintien de l’ordre scolaire. Sur un échantillon de 21 dispositifs d’un même territoire, 72% engagent un travail sur la connaissance des règles, des droits et des devoirs dans l’établissement et dans la société. Ils sont 44% à proposer aux élèves une activité sur le sens de la sanction subie, 33% à les sensibiliser aux enjeux du « vivre ensemble » au travers d’actions citoyennes et de solidarité, et 27% à s’engager dans des sessions de prévention censées permettre aux élèves d’améliorer leur comportement en milieu scolaire. L’enjeu pour les encadrants est bien souvent de sensibiliser les élèves à une forme de restauration du sens de la sanction qui ne doit pas se limiter à un strict rappel de la loi scolaire.

“ […] la continuité scolaire est abandonnée au profit d’un travail largement dédié à des enjeux de socialisation scolaire, entendu comme une mise en conformité des adolescents avec les exigences de l’école en termes d’attitudes, de comportements et de postures assignés au métier d’élèves. ”

Sans trop nous attarder sur la déclinaison des contenus et des activités proposées dans ces dispositifs qui mériteraient un traitement particulier, au moins pouvons-nous signaler le peu de cas qui est fait des activités scolaires traditionnelles. Si la « continuité scolaire », c’est-à-dire le fait d’assurer des activités d’apprentissages sous la forme de cours ou de devoirs liés au curriculum suivi habituellement par l’élève, est une exigence prescrite à la fois par l’éducation nationale et par les financeurs, force est de constater que les séquences proposées sont tournées presque essentiellement vers des contenus en lien avec les enjeux de socialisation scolaire. Le code de l’éducation précise pourtant explicitement que toute exclusion temporaire doit être accompagnée de mesures destinées à garantir la poursuite de la scolarité de l’élève et à faciliter sa réintégration. L’élève doit faire l’objet d’un suivi éducatif. De fait, le Médiateur de l’Education Nationale signale dans son rapport 2012 avoir été saisi par des parents de collégiens inquiets d’une telle situation, et recommande de mettre en place des mesures effectives d’accompagnement de scolarité pour un élève exclu temporairement d’un cours ou d’un établissement. Le problème de la continuité scolaire est par ailleurs clairement posé : actuellement les mesures d’accompagnement peinent à se mettre en place. Or des élèves peuvent se retrouver exclus de manière temporaire suite à différentes mesures. (…) Le problème est de trouver la ou les personnes qui vont assurer et alimenter l’accompagnement de la scolarité qui est alors nécessaire ; aucun des membres de l’établissement scolaire ne se sent réellement concerné par le suivi de l’élève qui a, en général, refusé les règles de fonctionnement du cours ou de l’établissement. Beaucoup de professeurs considèrent que l’élève sorti de leur classe n’est plus sous leur responsabilité et peu d’équipes de directions ou de CPE ont pris ce problème à bras le corps. Les solutions informatiques du type « banques de devoirs » sont rarement opérantes. Or, s’il est possible de laisser un élève « privé de classe » il est plus difficile qu’il soit « privé de cours », et en tout état de cause, privé de prise en charge. Cela ne peut que le conduire à terme à un décrochage scolaire et à un échec scolaire[10]Ministère de l’Education Nationale. Rapport du médiateur de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Informer, dialoguer pour apaiser, 2012. Le même rapport s’inquiète précisément de la dérive de l’exclusion temporaire de l’établissement pour une durée qui peut aller jusqu’à huit jours qui semble aussi assez couramment utilisées, en augmentation et ce en contradiction avec l’esprit des nouveaux textes. Le nombre d’exclusions temporaires est particulièrement significatif sur les terrains, et les dispositifs ne prennent en charge qu’une infime partie des élèves effectivement exclus. Mais même lorsque cette prise en charge est assurée, la continuité scolaire est abandonnée au profit d’un travail largement dédié à des enjeux de socialisation scolaire, entendu comme une mise en conformité des adolescents avec les exigences de l’école en termes d’attitudes, de comportements et de postures assignés au métier d’élèves.

Socialisation et apprentissage : des ambiguïtés qui ont la vie dure

Là comme dans beaucoup d’autres dispositifs hors la classe, cette socialisation scolaire est perçue comme « la » condition de l’entrée dans les apprentissages, sans que la dimension socialisante des apprentissages eux-mêmes ne soit véritablement interrogée[11]S. Bonnéry, & S. Kakpo, Le temps d’études requalifié. Circulation des savoirs et dispositions entre la classe et les dispositifs hors la classe. Ville de Gennevilliers, 2012. Les activités cognitives liées aux usages scolaires ordinaires sont de fait reléguées au rang d’enjeux périphériques, traduits sous la forme de l’accompagnement aux devoirs et plus ponctuellement d’un encadrement « méthodologique » autour de quelques exercices particuliers. Dans d’autres dispositifs comparables pourtant, cette question des apprentissages mobilise largement les équipes, même si plusieurs recherches ont bien illustré la distinction toujours très forte et assez contre-productive entre socialisation scolaire et activités d’apprentissages[12]G. Henri-Panabière, F. Renard, & D. Thin, D. Un temps de détour… Pratiques pédagogiques et socialisatrices dans deux ateliers relais. Analyse sociologique. Lyon : CEMEA, Groupe de Recherche sur la Socialisation, Université Lumière Lyon, 2009. L’absence d’enseignants est sans doute l’une des raisons qui expliquent cette relative invisibilité de l’activité scolaire traditionnelle dans les dispositifs d’accueil des collégiens exclus. Les établissements eux-mêmes ne jouent pas le jeu de cette continuité scolaire, ne fournissant qu’exceptionnellement des éléments susceptibles de compenser l’absence des salles de classe.

C’est finalement à partir d’une hypothétique forme de resocialisation scolaire que les contenus se déclinent, marquant une traduction assez naturalisée du déficit de socialisation dont souffriraient certains élèves. C’est en leur expliquant et en leur donnant les règles du jeu, qu’ils seraient en mesure de mieux adapter leurs comportements à l’école : il s’agit en d’autres termes de rendre intelligibles les références normatives de l’école et les usages qui en découlent en termes de comportement. On assiste donc à une forme de délocalisation des usages normatifs de l’école que les dispositifs sont chargés de transmettre. La question du comportement est déliée des enjeux d’apprentissages, le métier d’élève renvoyé à une vision utilitariste de l’exercice scolaire. Ces élèves, qui sont déjà ceux qui ont des difficultés à entrer dans des logiques d’apprentissages plus structurantes, sont finalement confortés dans une forme de malentendu permanent, croyant faire ce qu’il faut en s’acquittant des tâches et en se conformant aux prescriptions scolaires sans pour autant être à même de mobiliser pour cela l’activité intellectuelle requise par un réel travail d’acculturation, ils estiment en être quittes avec les réquisits de l’institution, et satisfaire ainsi aux conditions de la réussite, ce qui n’est que rarement le cas[13]E. Bautier, J.Y. Rochex, Ces malentendus qui font la différence, in J.P.Terrail La socialisation de la France. Critique de l’état des lieux, La Dispute, 1997. La faute est systématiquement liée à un déficit de sociabilité scolaire de l’élève qui renvoie à une prescription particulièrement normative des comportements attendus, faisant peu de cas des éléments de contexte qui marquent pourtant profondément leur expérience de l’école.

“ Dans les quartiers populaires plus encore qu’ailleurs, c’est bien sans doute d’abord à l’école de se mobiliser pour que le sens des apprentissages et des savoirs ne soit pas réduit à une stricte dimension utilitariste. ”

En ciblant les élèves à besoins dits particuliers, ces dispositifs s’inscrivent dans une reconfiguration des espaces scolaires marqués non pas tant par un affaiblissement de l’institution comme on le dénonce parfois, que par une réappropriation par des acteurs non scolaires des enjeux de scolarisation. L’école sort de ses murs et investit le champ de l’intervention sociale pourtant historiquement réfractaire à de tels rapprochements. Les acteurs de l’école nous l’avons dit, sont sensibles à cette mobilisation nouvelle qui est perçue comme une ressource supplémentaire dans l’encadrement de ces élèves. Mais cette reconfiguration se fait à sens unique, non pas sur le registre d’une mobilisation partagée, mais bien plutôt sur celui de l’abandon de certaines prérogatives scolaires à de nouveaux acteurs qui n’en demandent pas tant. Force est de constater assez paradoxalement que cette ouverture de l’école à de nouvelles collaborations signe finalement un repli significatif des établissements sur une forme scolaire étriquée qui renvoie, littéralement, une part significative des enjeux d’apprentissages et donc de socialisations scolaires aux portes de l’école. Malgré une bonne volonté évidente et des ressources sans doute précieuses pour un certain nombre d’élèves, la focalisation des dispositifs sur les enjeux de resocialisation scolaire présuppose une inadaptation des élèves qui fait peu de cas des contextes et des conditions de développement de leur expérience scolaire. La question se pose en effet de comprendre comment et sur quelles bases l’école construit ou non les conditions d’accès à un univers normatif qui ne peut pas être un allant de soi dans une école démocratique. Dans les quartiers populaires plus encore qu’ailleurs, c’est bien sans doute d’abord à l’école de se mobiliser pour que le sens des apprentissages et des savoirs ne soit pas réduit à une stricte dimension utilitariste. Cet impératif ne peut pas être contraint à quelques spécificités locales que ce soit.

Ce sont 500, 700, 1500 exclusions par an que nous avons comptabilisées dans différents établissements[14]B. Moignard, Les exclusions temporaires des collégiens en France. Une routine punitive. International Journal of Violence and School, 2015, et qui illustrent cette nouvelle dimension ordinaire d’une sanction pourtant prévue dans les textes comme réservée aux agissements les plus durs. S’il est difficile de savoir si la tolérance aux désordres scolaires est aujourd’hui plus faible qu’hier, au moins peut-on s’interroger sur la facilité avec laquelle une proportion significative d’établissements en vient à renoncer à l’accueil d’un grand nombre d’élèves. Les enjeux de la démocratisation sont immenses et l’hétérogénéité des publics, ou leur homogénéité dans la distance qu’ils entretiennent parfois avec les référents implicites de l’école, posent des questions cruciales qui ne peuvent pas se résoudre par quelques affirmations péremptoires. Mais faut-il se satisfaire de cette mise au ban de toute une frange des élèves qui sont aussi souvent ceux qui ont le plus besoin d’école ? L’externalisation de leur prise en charge peut être difficilement viable du point de vue scolaire. Des moyens sont déployés, des ressources sont mobilisées, mais il convient peut-être de réinterroger le sens de ces prises en charge dont il ne faudrait pas qu’elles légitiment à terme, une distinction des rôles éducatifs qui ne laisseraient à l’école aucune chance de relever le défi de l’accès de tous aux savoirs.

Benjamin Moignard
UPEC, LIRTES, OUIEP

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