Numéro 15,  Propositions de lecture

Payer pour réussir

Payer pour réussir. Le marché du soutien scolaire,
Erwan Lehoux, Syllepse, 2018, 115 p.

Note de lecture proposée par Christine Passerieux.

Erwan Lehoux s’intéresse au rôle de l’argent dans la réussite scolaire, et plus particulièrement à la marchandisation du soutien scolaire, qui s’affiche avec force communication et promesses. Si le soutien scolaire a pris historiquement différentes formes, il s’est particulièrement développé depuis les années 70-80, alors qu’émerge la notion d’échec scolaire, lors de la massification de l’accès à la scolarité jusqu’à devenir une véritable industrie. En effet cette massification ne s’est pas accompagnée d’une démocratisation de l’accès aux savoirs. Le soutien scolaire, tel que nous le connaissons est donc tout à fait corrélé au fait que l’école ne crée pas les conditions nécessaires à une acculturation scolaire pour tous les élèves alors que la reproduction sociale est davantage menacée et la compétition scolaire s’intensifie. L’état dans des logiques d’externalisation de la difficulté scolaire encourage ce développement marchand par des incitations fiscales, sans pour autant réduire les disparités sociales (15% des lycéens recourent au soutien scolaire marchand) ; renforcent la reproduction des inégalités, qui caractérise le système éducatif, se trouve par ce biais renforcée.

Erwan Lehoux pose alors une question essentielle pour comprendre la politique étatique en matière d’éducation : ne serait-ce pas l’école qui se déchargerait du sale boulot en déléguant à des agents extérieurs la responsabilité de répondre aux difficultés scolaires que rencontrent les enfants ? Politique aux fondements idéologiques très inégalitaires, que l’on retrouve dans les campagnes publicitaires menées par les plus grandes officines, dans un discours qui a l’air de s’opposer au fatalisme, alors même que le soutien scolaire n’apparaît donc pas ici comme un contre modèle à l’école mais s’accommode au contraire de ce système et le légitime. Pour exemple la place de l’évaluation et le rôle qu’elle joue dans l’orientation.

Le soutien scolaire marchand prône l’adaptation à chacun, à ses prétendus talents, une naturalisation des différences qui est une légitimation des inégalités. Pour ce faire sont mises en avant des méthodes proches des pédagogies dites alternatives qui fleurissent aussi sur le marché, et visent à « révéler » les potentialités individuelles, dans le refus d’une éducation qui serait aliénante, dans la promotion du bien-être, du développement personnel, maîtres mots du new management. L’individualisation est au cœur des dispositifs de soutien scolaire marchand. Le tout dans une conception conservatrice souple, selon la formule très juste d’Erwan Lehoux, qui se décline aussi dans des conceptions utilitaristes de l’éducation, alors que montent dans les familles et selon leur appartenance sociale, la crainte du chômage, ou celle d’un accès difficile à des voies surchargées. L’évaluation devient décisive car elle détermine les orientations. On assiste alors, à une instrumentalisation de l’éducation, devenue une marchandise, un produit à consommer à des fins utilitaires où les bonnes notes, le diplôme seraient les seules finalités.

L’attention portée dans l’ouvrage au décryptage des fondements idéologiques de la marchandisation de l’éducation engage à la transformation nécessaire du système pour que cessent les logiques de concurrence et de ségrégation.