Lectures Jeunesse,  Numéro 30

A(ni)mal | Cécile Alix

« C’est quand qu’on va où ? »

Accompagner par la lecture le difficile trajet de personnages qui n’ont pas choisi de quitter leur pays, et ne connaissent ni la date ni la destination de leur voyage, tel est le propos de deux romans récents destinés à la jeunesse, qui, dans des registres très différents, se penchent chacun à sa manière sur les douleurs des migrations subies.

Découvrir également Àciel ouvert d’Alice Riché.

alix annimal
Cécile Alix,
A(ni)mal,
Éditions Slalom, 2002.

Notes de lecture jeunesse par Françoise Chardin

La violence faite au corps de l’exil imposé s’affirme comme fil conducteur dès les premières lignes du roman, dans le style très dépouillé et travaillé qui est l’une de ses marques et peut-être sa force essentielle :

Elle me rase le crâne.
Je suis torse nu, les bras repliés en croix sur la poitrine. Une sueur âcre suinte dans mon dos, me brûle et m’écœure. La peur.
[…]
Elle tourne autour de moi. J’entends le gémissement bref et strident du Scotch qu’elle dévide. Il s’agrippe, s’enroule instantanément, adhère à mon corps comme une sangsue vicieuse, une liane asphyxiante. Son cri arrache l’air, brutal.

Dans ce premier chapitre consacré habituellement à la présentation du personnage, c’est à l’effacement de celui-ci qu’on assiste, opéré par sa mère et imposé comme condition de la réussite de sa migration clandestine pour fuir les menaces qui pèsent sur sa famille dans un pays qu’on comprend en guerre et en butte à l’intégrisme. Le lecteur lui-même sera tenu dans l’ignorance d’éléments essentiels de l’identité de Miran, dans un parti pris original, qui contraint la narration elle-même à ne divulguer que par des indices minuscules ce que Miran ne doit à aucun prix révéler.

Tu ne dis pas d’où tu viens, tu ne dis pas ton nom, tu oublies ton pays, compris ?
Tu m’oublies. Et tous les autres que tu connais, que tu as connus, tous, tu les oublies aussi. Et qui tu es, tu l’oublies. A partir de maintenant, tu n’es personne, tu n’es de nulle part.

Son seul mantra doit être désormais celui que sa mère lui assène :

Maintenant, tu es un homme ». Un homme qui doit endurer sans se plaindre une métamorphose qu’il doit opérer à son cœur et à son corps défendant : « Déjà je m’oublie, je m’efface. Je suis un homme, je suis un homme… Déjà je me conjugue, m’accorde et me pense autrement. Me métamorphose, incarne ce nouveau moi qui m’est totalement étranger.

Toute la première moitié du roman choisit de raconter le voyage accompli sous la férule des passeurs, avec ses souffrances et ses aléas, à travers ce prisme d’angoisse du narrateur face à ce qu’il subit bien sûr, mais encore plus face à ces transformations qu’il rejette : « Je ne suis plus qu’une bête fourbue, animée par un stupide instinct de survie. J’ai peur de ce que je suis en train de devenir ». Le regard du lecteur se trouve déplacé, dérangé dans ses habitudes. Il ne s’agit plus de savoir si Miran va être sauvé, mais ce qui sera sauvé de lui. C’est en cela que le roman montre une belle exigence vis-à-vis de son public de jeunes adultes.

On pourra presque dès lors regretter que la seconde moitié du roman, celle qui présente la fin du voyage et le début de la résilience, n’ait pas la même force et multiplie les rencontres heureuses et les hasards providentiels pour Miran. Mais après tout, quel méchant et sombre lecteur sommes-nous, qui acceptons volontiers de croire à la noirceur effroyable des passeurs, et fronçons un sourcil dubitatif devant beaucoup de générosité et de bonté chez celles et ceux qui vont aider Miran ? Dans A(ni)mal, n’y a-t-il pas Amal, son vrai prénom, qui signifie espoir ?