Soyons audacieux : faisons des projets !
Notre présent est chargé de crises, d’incertitudes, de peurs et de replis.
Jamais il n’y eut tant besoin d’issues, de repères, de confiance et de partage. Les mots d’Aragon claquent au vent :
« Le malheur au malheur ressemble
Il est profond profond profond
Vous voudriez au ciel bleu croire
Je le connais ce sentiment »
Mais, pour ne pas croire au monde meilleur « comme l’alouette au miroir », ne faut-il pas « reprendre pied » face au malheur et tout faire pour reconstruire du sens ? Même confronté à la crise systémique du capitalisme financier, le monde d’aujourd’hui réclame progrès, émancipation, liberté. Aucun déploiement des nouvelles technologies ne se fait et ne se fera sans anticipation, coopération et partage. Aucun progrès réel ne s’accomplit sans intelligence, intervention et créativité humaine.
La gravité de la situation sociale, politique et économique, et la chape de plomb subie par des millions de femmes et d’hommes conduisent trop souvent la pensée vers un horizon indépassable et alimente le sentiment d’impuissance à agir sur le monde, la société. Ce désarroi massif dégrade l’idée de la propre place de l’individu dans la société jusqu’à se penser soi-même extérieur au monde.
“ Des résistances aux injustices se lèvent, des élans d’humanité jaillissent, des refus de la barbarie s’expriment, des novations émergent : le rideau n’est pas tombé sur l’écran et « l’étoile n’est pas au fond du trou ». ”
Que de maux aux femmes et aux hommes, mais aussi à la société et à la civilisation les 1% des plus riches possédant 50 % des richesses mondiales font subir aux 99% des autres au nom de leurs pouvoirs et de leur argent ! Violence inouïe du capitalisme financier. Enjeu considérable autour des idées. Contrairement aux dogmes qu’ils veulent imposer à tous, leur richesse ne profite pas à la société. Bien au contraire leur accaparement et celui des pouvoirs conduit assurément aux catastrophes de tous ordres. Ils font plus que s’en défendre. Ils mobilisent tous les moyens des médias à la dénaturation de la politique pour que leur vision l’emporte dans des millions de consciences.
Mais dans le même temps, des résistances aux injustices se lèvent, des élans d’humanité jaillissent, des refus de la barbarie s’expriment, des novations émergent : le rideau n’est pas tombé sur l’écran et « l’étoile n’est pas au fond du trou ». Des millions de nos concitoyens n’adhèrent pas aux choix d’un gouvernement élu à gauche en conduisant une politique qui doit tout à la droite. Ils sont des millions à refuser les idées de l’extrême droite même si les renoncements peuvent conduire au populisme faute d’alternative crédible à leurs yeux. Ils expriment souvent leur refus des fuites en avant du néo-libéralisme sous toutes ses variantes. Et s’ils choisissent parfois le repli c’est qu’elles/ils pensent que peut-être rien n’est possible. « Et vous passez votre chemin Sans savoir que ce que dit ma bouche Votre enfer est pourtant le mien Nous vivons sous le même règne » interpelle le poète qui parle du désarroi et des inquiétudes.
“ Un avenir visant l’émancipation humaine a donc besoin tout à la fois de sens, de représentation, d’imaginaire, de contenus, de possibles et d’expériences. Il a besoin de messages audibles et d’actes le nourrissant. ”
Le message porteur du changement rencontre donc bien des difficultés à se faire entendre quand celui du populisme trouve de l’élan. Un avenir visant l’émancipation humaine a donc besoin tout à la fois de sens, de représentation, d’imaginaire, de contenus, de possibles et d’expériences. Il a besoin de messages audibles et d’actes le nourrissant. C’est le chantier qui est devant nous.
Avec mes camarades, nous avons travaillé cette année d’arrache-pied pour mettre en mots avec « La France en Commun » le plus directement possible ce que pouvait être une voie pour une alternative de progrès. Nous l’avons appelé Invitation à écrire un projet pour l’émancipation humaine.
Cette première étape de projet tente de tracer des grandes lignes, des repères, des visions d’avenir et des mesures que nous portons pour créer une dynamique de sortie de l’austérité et des dogmes du libéralisme qui étouffent tout développement, humain du monde, de l’Europe, de la France. Nous y définissons le fil rouge de notre projet : l’émancipation humaine. Nous y prônons un nouveau mode de développement alliant la question sociale et l’écologie.
“ Culture et éducation jouent ce rôle majeur car elles sont porteuses de forces considérables pour déverrouiller les possibles. ”
Nous avançons l’idée d’une société des droits, d’une société des communs, avec une reprise des pouvoirs sur l’argent afin de mettre au centre l’emploi et le travail comme facteur d’émancipation.
La question culturelle au sens le plus large du terme – incluant la formation et les représentations évoquées ici – devient centrale pour qui veut agir au service de l’émancipation. Culture et éducation jouent ce rôle majeur car elles sont porteuses de forces considérables pour déverrouiller les possibles. Je lis dans un texte de votre réseau : « Les Français-es attendent beaucoup de l’éducation : qu’elle forme des citoyen-ne-s libres, des esprits critiques capables de comprendre le monde pour le transformer; qu’elle donne à tous les enfants les moyens de réussir sans laisser personne sur le bord du chemin ; qu’elle construise pour toutes et tous une culture commune dans le partage et le respect des différences. Ce sont des exigences légitimes, de belles ambitions. Plus que jamais, il est urgent d’agir pour les réaliser. » J’y souscris car j’y trouve des réponses au problème majeur du débouché de notre société en crise.
Illustration. Elu, j’ai longtemps conduit des politiques culturelles publiques en Région et dans une ville. Sur quoi souhaitais-je agir ? Mais sur l’imaginaire bien sûr, sur la construction d’esprits critiques, sur le partage des espaces que nous tendent les artistes, sur l’acuité des regards sur le monde, sur l’autonomie de pensée, sur l’échange, sur l’étendue des représentations du monde à l’opposé des enfermements stérilisants.
Et, très concrètement, au-delà des seules intentions, il était urgent d’agir. Il a fallu d’abord créer le poste d’adjoint à la culture qui n’existait pas, créer un service, former des personnels, installer des cadres, se donner des objectifs, les construire et avec eux les moyens nécessaires, aménager des lieux, s’inscrire dans des réseaux, convaincre les autres élus, inviter des artistes évidemment, favoriser les pratiques artistiques, se battre pour un budget à la hauteur, et gagner la population à l’idée que ce qu’on faisait était aussi nécessaire que d’autres services publics. Tout ça n’est pas et ne fut pas vain.
Même si la droite revenue aux affaires de cette ville commua immédiatement l’exigence artistique en divertissement au nom d’un soi-disant élitisme (le mien !). Alors qu’il « faut » être « populaire » ! Ô perversion des mots, du langage et des idées… Finie la découverte de la danse contemporaine, le théâtre un peu exigeant, les musiques inhabituelles, place au show-biz et aux humoristes graisseux et télévisuels… c’est dire que la bataille est loin d’être finie et loin d’être gagnée. Mais elle est essentielle.
Je vois d’ailleurs dans l’acharnement de la droite – mais pas seulement – à compresser et /ou dévoyer les politiques culturelles au-delà même des questions de budget la volonté d’avancer sur un projet de société : consumérisme, apeuré du nouveau et de l’esprit critique, de l’autonomie des individus etc. …
J’ai vécu plus de 15 années durant les mêmes batailles comme élu en Région. Dans le viseur des élus, adeptes des « contraintes budgétaires », les 6% des politiques culturelles ! Comme si tailler dans cette petite portion allait « sauver » l’équilibre général ! Mais, au-delà d’une question de pure finance j’y vois l’expression d’une vision du monde étroite et fermée, et finalement décrivant les contours de ce projet régressif évoqué plus haut.
En tout lieu donc, la bataille des projets est lancée. C’est un enjeu majeur. Pour inscrire durablement les esprits dans l’acceptation de la crise systémique du capitalisme, ses tenants font de gros efforts pour convaincre que leur choix est le seul possible : face au problème du chômage, ils nous disent : « levons les obstacles au licenciement » ; ou « abaissons le coût du travail ». Leurs recettes ont failli depuis des décennies pour résoudre le chômage ? Tant pis : ils s’acharnent sur leur projet d’une société faite d’un salariat corvéable et sans droits, d’une république dénaturée, ou encore d’une Europe qui doit tout à la finance.
Lançons donc l’offensive du projet – liée bien sûr à toutes les luttes et toutes les résistances – mais projet contre projet. Le projet émancipateur dont la base à ce jour est « La France en commun » est un chantier ouvert à toutes et tous et qu’on pourrait baptiser communisme de nouvelle génération. Il trace des pistes pour l’avenir tout en étant bien ancré dans notre présent. Il ouvre des espaces, contribue aux réflexions et porte des contenus. Il est à vous.
Marc Brynhole
Membre du Comité exécutif national du PCF
Coordinateur de l’écriture de la « France en Commun »