Qu’as-tu appris à l’école ?
Qu’as-tu appris à l’école ? Essai sur les conditions
éducatives d’une citoyenneté critique
Nico Hirtt, Jean-Pierre Kerckofs & Philippe Schmetz, Éd. Aden, Bruxelles, 2018.
Note de lecture proposée par Erwan Lehoux.
Au-delà de l’analyse de l’école telle qu’elle est aujourd’hui, l’objectif des auteurs est de proposer un projet pour une école démocratique. La grande qualité de l’ouvrage est ainsi de dépasser la critique de l’existant et d’aller de l’avant. Une démarche bienvenue dans un contexte où les attaques néolibérales contre l’école peuvent parfois désespérer jusqu’au militant le plus convaincu. Si le projet que les auteurs dessinent au fil des pages peut parfois sembler trop ambitieux, voire irréaliste, ils prennent soin cependant de l’ancrer dans la matérialité de l’école telle qu’on la connaît tout en assumant qu’il s’agit plutôt d’une perspective idéale-typique et non d’une liste de mesures qui seraient applicables sans plus attendre. En somme, c’est une utopie concrète au sens d’Ernst Bloch.
L’ouvrage commence par un rappel des critiques formulées à l’égard de l’école capitaliste. Parcourant l’histoire, ils montrent que l’école publique obligatoire n’a pas permis, dans un premier temps, d’apporter aux enfants des couches populaires les qualifications dont l’économie industrielle avait besoin. Au contraire, elle a confirmé leur aliénation, née du machinisme et de l’industrialisation, qui ont entraîné le déclin des formes traditionnelles de socialisation ouvrière et paysanne. L’école est alors surtout un appareil idéologique d’état dont l’objectif est de discipliner les ouvriers. Ce n’est que plus tard, surtout aux lendemains de la seconde guerre mondiale, que naît une formation professionnelle supérieure dont le but était de former une certaine élite ouvrière. La voie professionnelle apparaît alors comme une voie de promotion sociale. C’est également à cette époque que l’école secondaire s’ouvre largement aux ouvriers. De ce fait, la voie professionnelle devient progressivement la voie de relégation sociale que l’on connaît aujourd’hui. Et les auteurs de souligner les contradictions de l’école. Les capitalistes souhaiteraient que soient formés des individus qualifiés sans leur donner les moyens de comprendre – et donc de critiquer et de repenser – le monde qui les entoure. Ils attendraient que l’école forme de futurs travailleurs directement employables et spécialisés mais aussi polyvalents et adaptables. De même, ils demandent à l’école de transmettre des savoirs utiles et pratiques, applicables dans le cadre professionnel, mais la voie professionnelle scolaire est plus dévalorisée que jamais.
À partir de là, les auteurs envisagent ce que pourrait et devrait être une école démocratique. Plusieurs chapitres sont consacrés aux contenus à enseigner. Le premier d’entre eux, consacré à ce que l’on pourrait qualifier de « culture générale classique » ou « bourgeoise », affirme avec justesse l’importance de cette culture pour comprendre, structurer sa pensée, s’exprimer avec force et justesse, comme condition de l’accès à d’autres formes de savoirs et clé du débat démocratique. Pour préciser et illustrer ce propos, le chapitre se poursuit en passant en revue les différentes disciplines en question, À vouloir trop entrer dans les détails sans cependant pouvoir développer autant qu’il le faudrait, cette présentation perd parfois de sa pertinence. En revanche, les chapitres suivants, consacrés à l’école polytechnique que les auteurs appellent de leurs vœux, permettent au lecteur de saisir l’enjeu, à la fois philosophique, politique, pédagogique et pratique, d’un tel projet, avant d’en esquisser la réalisation concrète. Les auteurs n’oublient pas de s’inscrire dans la longue tradition de l’éducation nouvelle en convoquant, avec un regard critique, quelques-uns des principaux théoriciens du rapprochement entre la culture du travail et la culture de l’école. Si ce rappel laisse parfois sur sa faim, il sait attiser la curiosité du lecteur, qu’il invite ainsi à (re)découvrir la richesse de ces travaux.
L’ouvrage se poursuit par quelques réflexions sur le constructivisme pédagogique tel que le défendent les auteurs puis sur le « tous capables » avant de se terminer par un chapitre bienvenu dans lequel ils anticipent le procès en irréalisme dont ils pourraient être l’objet. L’occasion de défendre l’école démocratique non pas comme un projet déjà ficelé qu’il s’agirait de construire d’un seul coup mais plutôt comme un projet idéal-typique qui s’oppose à celui de l’école capitaliste, sachant que nous pouvons, à tous les niveaux, des responsables politiques aux enseignant·e·s, faire en sorte de faire pencher l’école réelle plutôt d’un côté ou de l’autre. Que l’on partage ou non chacun des éléments concrets défendus par les auteurs, le grand mérite de cet ouvrage est de proposer un autre horizon pour l’école, cohérent, à même de redonner du sens à notre engagement mais aussi au métier d’enseignant.