Le fils de l’ombre et de l’oiseau
Le fils de l’ombre et de l’oiseau,
Alex Cousseau
Editions du Rouergue, 2016-05-16.
Littérature jeunesse proposée par Françoise Chardin.
Comment peut-on être le fils de l’ombre et de l’oiseau ? Très simple : il suffit d’avoir pour père un homme qui a perdu son ombre, et pour mère, un homme-oiseau. L’homme qui a perdu son ombre est ce héros d’un roman dont l’auteur, botaniste, passa au large de l’île de Sala y Gomez, au moment précis où Poki, la femme homme-oiseau, y fit escale, au début du dix-neuvième siècle.
Et pourquoi cette Poki est-elle devenue homme-oiseau ? Voyons, pour réaliser son projet : retrouver la forêt disparue de l’île de Pâques, son île natale, et l’y rapporter. Seul l’homme-oiseau, censé communiquer avec les dieux, pourra enrôler les habitants de l’île dans ce projet fou : Poki passera donc l’épreuve initiatique annuelle et enlèvera aux jeunes hommes le trophée, devenant la première femme homme-oiseau à la barbe de cette société patriarcale.
Mais comment fera-t-elle pour rapporter une forêt disparue ?
Oh, lecteur, il est temps pour toi de te glisser au début du roman au pied d’un arbre proche de la Cordillère des Andes, au lieu dit la Puerta. Ecoute Elias, petit-fils de Poki, qui tient en joue en cette année 1916 le redoutable bandit Butch Cassidy paisiblement endormi : « Avant de tirer, nous allons profiter de son sommeil pour tout lui souffler à l’oreille. Une nuit me suffira pour dire tout le bruit, le sang, la sueur, l’amour et les larmes qui ont rempli notre vie. Une nuit pour parler de notre grand-mère envolée, pour évoquer l’homme qui faisait le tour du monde à la recherche de son ombre, sans oublier notre père, le fils de l’ombre et de l’oiseau, et notre mère, la fille aux huit doigts. »
Un superbe roman qui tient en haleine au fil des multiples récits qui s’y enchâssent, dans la grande tradition du roman picaresque et de l’épopée. Un voyage dans l’Amérique du sud du XIX°siècle (île de Pâques, Chili, Bolivie) moitié réelle, moitié fantasmée, où se croisent des personnages réels devenus des légendes et des héros de fiction plus réalistes qu’eux : l’enrichissement mutuel du rêve, de la fiction et de la réalité est un des motifs essentiels du roman. Le grand moteur de l’action, c’est le rêve que chaque personnage lègue à un autre pour qu’il le réalise tout en faisant émerger le sien propre. « Ce que nous vivons pénètre dans nos rêves, ce que nous rêvons pénètre dans nos vies. C’est une spirale magique. » Des rêves qui surgissent de ces paysages si bien évoqués, beaux non à couper le souffle, mais plutôt à en donner, aux personnages comme au lecteur qui voit jaillir des vagues quelque cheval appaloosa. Un voyage qui ne néglige pas de revisiter les mots : « Il existe une expression, « simple comme bonjour », qui en sous-entend une autre, « compliqué comme un au revoir », dit notre héros au moment de quitter celui qui a pris soin de lui.
Le récit approche le mythe, quand la quête individuelle des personnages s’inscrit dans les grands rêves de l’humanité, notamment celui de voler, depuis la légende de l’homme-oiseau jusqu’aux premiers balbutiements de l’aviation évoqués dans le roman.
Une invite à pousser les portes de l’histoire et de la géographie de ce continent sud-américain pour en savoir plus sur ces personnages et lieux de rencontre, à tel point que la définition que Pawel donne de sa propre vie pourrait être la métaphore de ce beau voyage de lecture :
« C’est simplement son instinct qui parle, il devine juste que sa vie ressemble à ça : la recherche d’une réponse dont on ignore la question, comme la quête d’un trésor hypothétique sur un territoire aussi vaste qu’on pourrait le croire infini ».