La nouvelle gouvernance : une politique néo libérale, loin du respect et de la valorisation de l’action des enseignants et personnels
Le décret Chatel du 5 janvier 2012, régissant la nouvelle gouvernance académique, rejeté en 2011 par le Conseil supérieur de l’éducation et maintenu en vigueur par le gouvernement actuel, arrive à point nommé pour permettre un fonctionnement cohérent avec la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) et permettre au recteur d’être le responsable de l’orientation des budgets opérationnels de programmes. Le pilotage par les résultats est devenu la conséquence majeure du décret. Les recteurs voient leurs pouvoirs accrus et deviennent les pilotes de la politique déconcentrée de l’EN. Ils délèguent l’application de leur stratégie dans les départements aux anciens inspecteurs d’académie, directeurs des services de l’éducation nationale (IA-DSDEN) qui prennent le nom de directeur académique (DASEN).
“ La contractualisation déplace le lieu de décision et apparaît comme une stratégie visant la dérégulation statutaire et réglementaire. ”
Réduire le pouvoir des IA-DSDEN, issus du corps des IA-IPR, recrutés par concours pour leurs compétences pédagogiques, au profit des recteurs nommés en conseil des ministres, c’est instaurer une organisation hiérarchique directement politique. Ce décret sur la gouvernance du système éducatif politise le service public de l’Education nationale et occulte sa dimension pédagogique, condition de la réussite de tous les élèves. Alors que l’Education nationale doit faire preuve en toutes circonstances de neutralité et d’impartialité, cette recentration reflète la volonté d’une politique partisane très forte des pôles de décision. Il y a un risque que le nouveau directeur académique soit le relai d’une administration, plus soucieuse de la mise en œuvre d’une politique centrée uniquement sur la gestion des moyens, que sur la prise en compte des priorités et des enjeux pédagogiques dans les décisions organisationnelles.
La contractualisation
La contractualisation sur objectifs, censée développer responsabilité, autonomie et transparence, constitue le second pôle de la rénovation de la gouvernance. Or, la contractualisation selon le droit habituel des contrats, est en opposition avec ce qui engage le fonctionnaire, l’école ou l’établissement scolaire vis-à-vis de l’Etat. Selon, l’article 4 de la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors, « le fonctionnaire est, vis-à-vis de l’administration dans une situation statutaire et réglementaire » non contractuelle ! La contractualisation déplace le lieu de décision et apparaît comme une stratégie visant la dérégulation statutaire et réglementaire.
La nouvelle gouvernance est loin d’avoir fait ses preuves.
Scénario désormais classique. L’Etat et l’Education nationale nous assènent des affirmations comme des vérités. Le modèle républicain du système éducatif n’est plus le bon. Le nouveau modèle de responsabilisation des acteurs les rendant autonomes, enfile l’habit de modernité et d’adaptation aux réalités locales car il viendra à bout de la bureaucratie, de l’inégalité scolaire, de l’autoritarisme de la hiérarchie et de la souffrance des enseignants au travail.
Sous couvert de ce nouveau discours, l’Education nationale abandonne petit à petit ses prérogatives et développe des modalités de management venant du privé. On assiste à une modification progressive de la culture des cadres de l’Education nationale qui s’approprient de plus en plus les principes du « nouveau management public » : rémunération au mérite reposant sur le management par les résultats. La valeur principale véhiculée par les enseignants est de vouloir contribuer par la réussite des élèves à un monde plus égalitaire. Mais, par exemple, établir la part de mérite d’un professeur dans le succès des élèves est une source d’injustice que les agents chercheront à compenser par des stratégies qui ne sont pas motivées par les valeurs qu’ils portent. Il en résulte, d’une part, des comportements concurrentiels peu favorables à la qualité de l’action et d’autre part, dans les pays où les financements sont déterminés par les résultats, une modification du curriculum vers l’entraînement répétitif pour réussir les évaluations au mépris d’une conception global de la connaissance.
“ L’Education nationale abandonne petit à petit ses prérogatives et développe des modalités de management venant du privé. ”
De plus, si les résultats aux enquêtes ne sont pas très bons pour l’école française, aucune enquête n’établit que ce serait le fait d’un investissement insuffisant des enseignants qui seraient censés travailler plus et mieux s’ils touchaient une prime au mérite.
Nous laisserons le mot de la fin à Christian Laval, sociologue :
« L’une des conséquences de ces politiques néolibérales appliquées à l’État est la ruine des idéaux collectifs de service public, l’épuisement progressif des valeurs de dévouement et la raréfaction des conduites éthiques qui animaient beaucoup des meilleurs agents publics […] Le sens même de l’action publique, le service de l’intérêt général, se défait peu à peu quand on aligne son organisation sur des manières de faire, de dire et de penser propres à la sphère privée […] L’État en renonçant à ses propres valeurs n’est-il pas en train de miner la signification du travail de ses agents ? »
Catherine Sceaux
Réseau Ecole
Bibliographie :
Paul Devin. Des vertus présumées de la nouvelle gouvernance. Inspecteur aujourd’hui. n°87, janvier, février, mars, 2014. URL : https://snpi.fsu.fr/wp-content/uploads/sites/95/2018/04/2014-03_devin_des_vertus_presumees_de_la_nouvelle_gouvernance-2.pdf
Christian Laval. Le sens de la modernisation de l’Etat. Idem. URL : https://snpi.fsu.fr/wp-content/uploads/sites/95/2018/04/2014-03_laval_le_sens_de_la_modernisation_de_l_etat.pdf
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