La maison qui parcourait le monde | Sophie Anderson
Sophie Anderson,
La maison qui parcourait le monde,
traduction de l’anglais par Marie-Anne de Béru,
L’école des loisirs, 2020.
Littérature jeunesse conseillée par Françoise Chardin.
Que deviendrait un Chaperon rouge qui en aurait assez d’aller nourrir sa Mère Grand, ou un Poucet qui refuserait d’enfiler des bottes par crainte d’attraper des ampoules ?
Marinka, l’héroïne de notre premier roman, est engluée dans l’univers des contes folkloriques russes. Là où tous les confinés du monde l’envieraient d’habiter une isba aux pattes de poulet qui se déplace sans cesse à grande vitesse, elle ne rêve que d’enraciner ses pieds dans le monde banal et stable des simples mortels. Et d’échapper à la succession promise de sa Baba Yaga de grand-mère comme future Gardienne de la porte de l’éternité et guide des Morts vers cet ultime passage : ceux-ci ne peuvent partir définitivement qu’après une soirée très slave, où le kvass coule à flots, et où ils doivent choisir d’emporter ce qui a fait le prix de leur vie. Deux rencontres décisives transforment son destin : celle d’un jeune voisin d’étape, Benjamin, intrigué par cette fillette qui bâtit une clôture en tibias et fémurs en lui expliquant tranquillement que s’il n’avait jamais remarqué sa maison, c’est qu’elle venait d’arriver en marchant ; et celle de Nina, jeune morte de son âge, qui se révolte contre sa vie trop brève et refuse de franchir la fameuse porte. Pour celle-ci, elle transgressera les règles des Gardiennes en se faisant complice de sa tentative d’évasion, et devra composer avec ses conséquences : la disparition de sa grand-mère et la découverte de sa réelle identité.
Toutes ces aventures, Marinka les vit avec sa maison. Celle-ci habite Marinka autant que Marinka l’habite. Elle donne au roman toute sa dimension fantastique et humoristique. Sa porte est la frontière ténue entre le monde des morts et celui des vivants. Sa détresse est pathétique lorsqu’elle a les pattes liées par Marinka pour la contraindre à l’immobilité. Sa dégaine improbable et son mauvais caractère conviennent à merveille au double rôle de geôlière et de protectrice qu’elle joue auprès de l’adolescente. Leurs disputes sont à la fois touchantes et comiques, ainsi que leurs âpres négociations :
– Très bien, dis-je finalement. Je vais guider les Morts et je n’essaierai plus de franchir la Porte.
La maison entrouvre une fenêtre et me regarde d’un air soupçonneux.
Plus loin, elle fait la moue et les fenêtres se plissent mais sait aussi se montrer approbatrice : la maison hoche du toit, et je souris.
Elle mérite bien son rôle-titre et la superbe couverture qui lui est dédiée. Ainsi que la retraite qui lui est accordée en fin de roman : une fin paisible de petite maison dans la prairie, un peu déconcertante pour cette isba débridée, mais qui pourra satisfaire, après tant d’émotions et de scènes parfois très angoissantes, des lectrices et des lecteurs entrant dans l’adolescence.