Grande pauvreté, inégalités sociales et école | Choukri Ben Ayed (dir.)
Grande pauvreté, inégalités sociales et école,
Sous la direction de Choukri Ben Ayed,
Berger Levrault, Au fil du débat, 202, 251 pages.
Note de lecture proposée par Christine Passerieux
Alors que les évaluations nationales et internationales ne cessent de dénoncer un système éducatif français particulièrement ségrégatif, le rapport entre grande pauvreté et difficultés scolaires reste un impensé de la politique éducative. Pourtant un élève sur cinq a des parents pauvres, soit quelques 3 millions de jeunes, ce chiffre datant d’avant la crise sanitaire. D’où l’intérêt très particulier de cet ouvrage alors que l’épidémie a mis en lumière ce qui était tu ou masqué et montré que des dispositifs ponctuels, ou encore la « bienveillance » (figure récurrente de la rhétorique ministérielle) demeurent inopérants.
Cet ouvrage interpelle toutes celles et ceux pour lesquels la lutte contre les inégalités relève de l’urgence sociale. Aujourd’hui ce ne sont pas les idées, les énergies ou les savoir-faire qui manquent pour faire face aux ravages de la grande pauvreté dans le champ éducatif. Ce dont nous avons besoin c’est d’une volonté collective d’en faire une priorité de l’action publique.
Les nombreuses contributions s’attachent à faire une analyse rigoureuse de l’état des lieux, de l’appauvrissement et l’affaiblissement d’une société d’où sont exclus une importante partie de ses membres empêchés de devenir des citoyens éclairés, autonomes et critiques. Nombre d’élèves ne s’y trompent pas : avoir plus d’esprit critique permet de ne pas avoir peur de ce que l’on pense, explique l’un d’entre eux.
La question de la pauvreté ne peut se résoudre ponctuellement, car elle ne concerne pas seulement les familles pauvres mais bien l’ensemble de la société. L’un des intérêts de l’ouvrage est qu’il ne se satisfait pas de dénoncer. Très loin de céder à une approche misérabiliste, il récuse le fatalisme en relatant des possibles déjà expérimentés sur des terrains divers. En cela il est d’une importance majeure alors que le projet ministériel pour l’éducation est une remise en cause permanente d’un accès égal à la culture scolaire.
Mais là n’est pas le seul intérêt. Le parti pris est particulièrement stimulant : le croisement de contributions de chercheurs, institutionnels, élus, acteurs de terrain, dont les points de vue parfois divergent, se fait dans une forte convergence pour dénoncer et refuser la naturalisation de la pauvreté (non un fait social naturel, mais une construction qui se joue aussi à l’école, dès les premières années), et affirmer que les enfants de pauvres ne sont pas de pauvres enfants, pas plus que leurs parents ne sont démissionnaires. Ils réfutent l’assimilation de la pauvreté à des manques, des handicaps, des écarts à la norme et appellent à interroger l’ordinaire plutôt que de stigmatiser la différence. L’objectif commun est de donner à tous les instruments de l’émancipation intellectuelle et sociale.
Car Il s’agit moins de promouvoir des réussites individuelles que de réduire les inégalités de classes sociales. La diversité des points de vue inscrits dans des approches singulières mais animées du même projet de démocratisation crée une dynamique qui engage les lecteurs à la « dispute » politique comme moteur de la réflexion tout autant que de l’action, invite à interroger son propre regard socialement centré pour qu’une école qui fasse place aux pauvres ne soit pas une école de pauvres.
Si c’est l’ensemble de l’écosystème de la société qu’il faut examiner, une transformation du système scolaire de l’école s’impose pour que l’école ne soit plus un lieu de tri social. Le chantier est énorme mais il ne sert à rien d’attendre « le grand soir » comme en témoignent les expériences de terrain relatées dans l’ouvrage.
Organisation scolaire, stabilisation des réformes, moyens donnés aux enseignants, valorisation du métier, mixité sociale, coordination et coopération indispensables entre différentes instances (État, collectivités territoriales, établissements, acteurs de terrain, parents…) s’avèrent indispensables… Mais le sont tout autant le regard porté sur les élèves, les relations aux parents trop souvent relégués, les pratiques pédagogiques et la conception de la culture scolaire quand elle ne devient pas officielle au nom d’une prétendue modernité. Ainsi, Bruno Falaize écrit : La formule « Lire, écrire, compter n’est pas, historiquement, une conception républicaine de l’école. Elle est d’Ancien Régime ». La formation des enseignants est un élément clef car ignorer la pauvreté, c’est participer à l’aggraver et détruire le sens du métier.
Un livre nécessaire, alors que l’école publique est en danger, que le droit à une égale éducation est sans cesse bafoué ; parce que la réalité de la pauvreté est méconnue, y compris par des acteurs de l’éducation et qu’elle fait des ravages. Très accessible, il s’adresse à tous, enseignants, parents, militants politiques et syndicaux afin qu’ils œuvrent ensemble à l’égalité.