Former contre les inégalités | Philippe Losego & Héloïse Durler
Philippe Losego & Héloïse Durler (dir),
Former contre les inégalités. Pratiques et recommandations
pour la formation des enseignant-e-s,
Editions ALPHIL-Presses Universitaires Suisses
Note de lecture proposée par Christine Passerieux
Les inégalités perdurent, voire se creusent. Si les causes en sont multifactorielles, n’y aurait-il d’autre avenir que la reproduction de ces inégalités ? Est-il encore raisonnablement possible d’imputer le creusement des écarts entre élèves aux seules causes externes (« dons », « handicaps socioculturels, psychologiques et médicaux…) ? N’y a-t-il d’autre alternative que la reproduction des inégalités, dans une soumission parfois insue à une politique éducative qui les fabrique à dessein à travers les dispositifs ségrégatifs qu’elle met en place ?
C’est cette idéologie mortifère que remettent en cause les chercheurs et formateurs suisses et français, auteurs de l’ouvrage.
La déconstruction des doxas pédagogiques et d’une pédagogie officielle, peu inquiètes des inégalités, incite par la preuve à refuser les fatalités. Celle d’une essentialisation de l’échec scolaire des élèves issus des classes populaires et conséquemment une individualisation différenciatrice des apprentissages et des cursus scolaires ; celle d’une formation qui sans relations avec la réalité du métier participe à renforcer les représentations communes des futurs enseignants et les condamne à l’impuissance, voire au renoncement.
C’est un changement de paradigme que proposent les auteurs qui explorent des pratiques de formations sous le prisme de l’« articulation entre formation des enseignants et inégalités scolaires ». Avec pour boussole l’affirmation que « la seule valeur à défendre devrait être l’égalité », ils inscrivent leurs recommandations dans une « démarche ascendante qui part de l’action », dans des contextes, des dispositifs où sont prises en compte les contraintes et les marges de manœuvre. Une démarche qui s’inscrit à rebours des impositions descendantes aux effets faibles voire ségrégatifs. Dans ce cadre, la mobilisation des enseignants comme sujets ayant eu une expérience scolaire est un levier puissant, pour qu’ils deviennent des praticiens réflexifs, soucieux d’établir des relations entre la subjectivité des élèves, eux-mêmes sujets, et l’objectivité des savoirs. L’identification de pratiques qui réduisent l’échec, permet de faire un sort aux représentations dominantes et à leurs causes afin que les futurs enseignants s’inscrivent dans une « double vigilance sociale et didactique ».
Lors d’entretiens avec les futurs enseignants, les auteurs de cet ouvrage constatent que les inégalités socioculturelles sont aisément identifiées par les futurs enseignants sans être pour autant perçues comme des injustices. Le parti-pris des auteurs est de doter les futurs enseignants d’outils leur permettant de comprendre ce qui se passe dans les classes, les malentendus entre enseignants et élèves. Contre les stéréotypes socioculturels, les pédagogies ‘‘à la mode’’ souvent conniventes avec la pédagogie officielle (primauté de l’action, habillage ludique de l’activité qui masque son but, adaptation à des « besoins », évitement de la confrontation des élèves à leurs erreurs par « bienveillance », dominance de compétences transversales au détriment des savoirs… ), les recommandations de cet ouvrage permettent « d’identifier les leviers d’action, les gestes professionnels efficients pour que l’école garantisse à tous, car c’est son rôle, des apprentissages à forte valeur cognitive. D’où l’importance pour les auteurs d’une articulation dialectique pratique-théorie-pratique qui permet la prise de « conscience des effets proprement pédagogiques sur les scolarités et de leur résonnance avec les conditions sociales des élèves ».
« Le chantier est immense » lit-on dans l’introduction. L’enjeu est en effet de taille afin que « la ségrégation scolaire » ne devienne pas « une ségrégation sociale ». C’est possible, écrivent les auteurs, et leurs analyses comme leurs recommandations, portées par des valeurs égalitaires l’attestent : l’école doit prendre parti, celui de la justice. Alors que depuis des décennies les politiques éducatives se préoccupent peu de la « réussite de tous », formule devenue slogan martelé à l’envi, cet ouvrage ouvre des perspectives, invite également à en ouvrir d’autres pour que l’école interroge ce qui se joue à l’interne et qui peut être dès maintenant transformé dans un projet de démocratisation effective du système scolaire. Il est déjà possible de s’attacher à « une reconfiguration des conceptions que l’institution et les enseignants ont du rôle des parents », de concevoir une collaboration interprofessionnelle avec les éducateurs et les éducatrices en milieu scolaire afin d’en finir avec l’assignation à l’origine socioculturelle. Il est temps aussi de bâtir des ponts entre la didactique, la sociologie, la psychologie ou encore la pédagogie.
Tout ne sera pas pour autant réglé, mais ce qui n’est plus possible c’est de poursuivre une politique d’exclusion. C’est à cela qu’invite cet ouvrage et c’est à cela qu’appelle sa lecture.
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