Coéducation et coconstruction
S’il est une sémantique qui s’est bien installée dans le domaine de l’action éducative, c’est bien celle de coéducation avec ses différents dérivés, comme la co-construction. Ces sémantiques présupposent que les politiques éducatives ne seraient plus construites selon un modèle vertical et autoritaire mais plutôt négocié.
Il s’agit en réalité de véritables euphémismes. La co-construction supposerait une égalité des contractants, disposant de mêmes voix au chapitre et d’égales possibilités d’infléchir les décisions finales. Il en est très différemment dans le domaine éducatif. Ce qui caractérise les relations dans ce domaine ce sont avant tout des relations dissymétriques avec une très forte prédominance de l’État. C’est en effet l’État qui a la prérogative de la loi, autrement dit de la définition des cadres de l’action éducative, qui définit les priorités, les enjeux ainsi que des finalités politico-idéologiques de l’action éducative. La coéducation, la co-construction de l’action éducative se réalise donc dans un faisceau de contraintes.
L’État est également le garant des temporalités. Les politiques éducatives ont en effet des durées de plus en plus limitées et se déclinent de façon récurrente davantage par des amoncèlements de dispositifs que par des orientations de grande portée (Barrère 2013). Seul l’État maitrise la mise à l’agenda des dispositifs éducatifs. C’est précisément au sein de ces dispositifs que les novlangues de coéducation et de co-construction font florès et que les acteurs agissent dans une certaine ambiguïté.
Les acteurs locaux n’ont pas la main sur le sens même des dispositifs, ils se retrouvent enrôlés à leur corps défendant dans une légitimation des doxas étatiques qui les sous-tendent. Si l’État fait appel à la mobilisation des acteurs locaux, c’est parce qu’il ne maitrise pas la façon dont les dispositifs sont supposés devenir opérationnels. En forçant le trait, l’État charge les acteurs locaux d’assurer le service après-vente de dispositifs souvent décidés à la va vite, pour des motifs électoraux, parce que chaque nouveau ministre se doit de marquer son ministère par la création, « l’innovation » éducative avec son cortège de nouveaux acronymes. La co-construction se résume ainsi souvent à sur-responsabiliser les acteurs locaux alors même que les concepteurs des dispositifs « d’en haut » se désintéressent souvent des questions d’opérationnalité investissant davantage notamment le domaine de la communication politique et médiatique.
Le dispositif, pour être crédible, doit donner l’impression de fonctionner, de produire des effets. Il n’est pas rare que l’évaluation des dispositifs précédent même leur mise en œuvre. Cette façon d’administrer les politiques éducatives par le bas, peut dans certains cas être également vertueuse, précisément parce que dans ces nombreuses marges d’incertitudes, certains acteurs locaux peuvent saisir des opportunités, faire preuve d’ingéniosité, nouer des relations nouvelles, faire reculer des digues. Cependant ces pratiques vertueuses sont trop souvent limitées dans le temps, de nouveaux dispositifs en chassent d’autres, de nouvelles co-constructions sont à mettre en œuvre qui débutent parfois par la déconstruction de dispositifs anciens. Ainsi coéducation et co-construction sont symptomatiques de ces nouveaux ordres éducatifs locaux (Ben Ayed 2009) à la fois sources d’opportunités mais également d’épuisement, de lassitude, lorsque l’action éducative repose sur des bases instables où tout est toujours en construction déconstruction/reconstruction.
Choukri Ben Ayed
Professeur de sociologie
Gresco – Université de Limoges
Ressource
Ben Ayed C., Le nouvel ordre éducatif local. Mixité, disparités, luttes locales, Paris, PUF, 2009.