Emmanuelle Murcier,  Juliette Chauveau,  L'école et son dehors,  Numéro 25

Devoirs à la maison : Quand des parents-chercheurs s’en mêlent

Les devoirs à la maison semblent ne concerner que la relation école-enfants. Or, les parents se saisissent particulièrement de cet outil pour accompagner au mieux leurs enfants dans leur réussite scolaire. Cet article met en avant le fait qu’il est nécessaire de prendre en compte le rôle des parents dans la question des devoirs à la maison pour comprendre et renforcer le lien entre école et maison.

Introduction

L’UPP de Noisy-le-Grand (Université Populaire de Parents)[1]UPP Noisy-le-Grand, Que font les devoirs aux familles et que font les familles pour les devoirs ? in Emmanuelle Murcier et Jean-François Robic (coord.), Au cœur des possibles. Transmission, co-éducation, famille-école, synthèse des travaux de recherches des Universités Populaires de Parents, octobre 2021, pp. 48-77. s’est construite sur des temps de rencontre entre parents, inquiets pour l’avenir de leurs enfants. Issus d’un quartier populaire, dans un contexte particulier (peur de la délinquance, décrochage scolaire, sentiment d’injustice en fonction de son quartier, de son milieu et de sa famille…), le choix du sujet de la recherche s’est tourné vers la scolarité et l’épanouissement personnel des enfants, à travers le questionnement autour des disparités du système éducatif, l’égalité des chances de réussite à l’école et l’épanouissement des enfants quel que soit leur quartier, leur milieu social, leur culture, leur origine. La question du « dedans-dehors » de l’école a pu ainsi être posée au travers d’outils existants faisant le lien, voire l’intermédiaire, entre ce qui se passe dans l’école et ce qui se passe à la maison. C’est le cas des devoirs à la maison.

Cette thématique a déjà fait l’objet de nombreuses recherches mais rarement sous l’angle de la famille et de l’enfant. En prenant les devoirs à la maison comme objet de recherche, l’objectif du groupe de parents est de travailler sur un lien qui rassemble les parents, les enseignants et les enfants, qui parle de co-éducation et englobe tant l’école que la maison. Les devoirs à la maison sont un élément de la pédagogie et de l’apprentissage. Ils mettent en évidence les disparités fortes qu’il peut y avoir parmi les établissements, les enseignants, les familles et les élèves. Ainsi la question de recherche a été formulée de la façon suivante : Devoirs à la maison : quels sont les impacts sur la vie de famille ? que disent-ils des attentes des parents vis-à-vis de la réussite scolaire de leurs enfants ?

Méthodologie de recherche

La méthodologie de recherche choisie est une approche qualitative, à travers l’analyse spécifique de familles, lors d’observations in situ (à la maison) et d’entretiens. En effet, le choix de travailler sur du qualitatif, et non du quantitatif, est parti d’un constat : les devoirs interpellent, font appel plus particulièrement à la subjectivité des familles, à l’émotion. Cela s’est traduit dans le nombre réduit de familles ayant accepté d’être observées et interviewées, ce qui pourrait en dire long sur le malaise des devoirs à la maison et du lien fragile qu’il s’agirait de conforter entre famille et école.

Deux résultats spécifiques en sont ressortis. Tout d’abord, l’importance de la compréhension du fonctionnement et de l’histoire personnelle des familles pour saisir les comportements vis-à-vis de l’école et des devoirs. Ensuite, l’angoisse de la réussite scolaire et, par extension, de la réussite de l’ensemble de sa vie, qui se traduit par la surprescription de devoirs. Ce qui entraine le glissement de l’outil « devoir » vers la famille, peut-être au détriment de l’école.

L’histoire personnelle des parents plébiscite les devoirs à la maison

En premier lieu, la reproduction du schéma éducatif des parents interrogés dans cette étude vient contredire les textes de lois et les pratiques. En effet, si les devoirs écrits sont interdits depuis 1956 pour les élèves de primaire, et cela régulièrement rappelé comme tel depuis, la pratique perdure. Sur le site du ministère de l’Éducation Nationale, il est indiqué qu’ « à la sortie de l’école, le travail donné par les maîtres aux élèves se limite à un travail oral ou des leçons à apprendre ». Dans le cadre de nos familles cette injonction n’existe pas et il n’est pas concevable pour elles que leurs enfants n’aient pas de devoirs. Avoir des devoirs à faire après l’école est le schéma éducatif que les parents des trois familles enquêtées ont connu étant enfants et que leurs enfants connaissent également. C’est donc tout naturellement qu’ils sont convaincus qu’il faut faire perdurer ce schéma, même si cela apporte son lot de contraintes et de « défiances ». Pour les parents interrogés, plus on en donne mieux c’est, car les notions sont mieux acquises.

Cette approche des parents enquêtés est très liée à leur histoire personnelle. Que ce soit une expérience pénible dans leur enfance avec leurs parents, le difficile accès à l’éducation dans le pays d’origine ou les difficultés scolaires liées à des troubles d’apprentissage, les parents interrogés utilisent les devoirs à la maison pour « avoir la main » sur l’instruction de leurs enfants, et finalement « avoir un pied » dans l’école. Cette histoire personnelle se traduit sous différentes formes. Cela peut être lié à une histoire douloureuse qui les incite à prendre à contre-pied ce qu’ils ont vécu enfant. Ce qui se traduit par une certaine bienveillance envers leurs enfants, afin de leur donner ce qu’ils n’ont pas eu dans leur enfance (parents qui n’ont pu accompagner leur enfant, voire ont subi de la maltraitance). Cette approche a un impact très important sur la façon d’accompagner leurs enfants dans leurs devoirs et leur réussite scolaire. Les parents ont tiré des conclusions de leur propre expérience : s’ils ont raté leurs diplômes, c’est en grande partie à cause de l’attitude de leurs parents, peu enclins à les aider à réussir. Forte de cette expérience, leur attitude d’encouragement et de bienveillance fait partie de leur modèle d’éducation pour favoriser l’ascension sociale de leurs enfants, et les convainc de faire entrer l’école dans la maison.

Le parallèle avec l’accès à l’école dans d’autres pays est aussi très important pour les parents interrogés. Ainsi, ces derniers s’attachent à montrer les échecs, les difficultés, les conditions de scolarité existant ailleurs pour motiver les enfants à « réussir » leur vie. Leur histoire personnelle et la comparaison avec d’autres histoires (familles, connaissances, reportages télé…) font partie de leur modèle d’éducation et leur donne les arguments pour faire entrer pleinement l’école dans la maison. Les parents enquêtés considèrent que leurs enfants sont dans des conditions d’apprentissage meilleures que celles qu’ils ont connues et qu’il n’y a pas d’autres choix que de réussir. Et l’un des leviers de motivation pour leurs enfants est de comparer avec ce qui se passe ailleurs, dans leur cercle proche. C’est une manière aussi de justifier, notamment, la prescription de devoirs en plus. Les enfants, privilégiés par rapport à d’autres enfants dans le monde, n’ont finalement pas le droit de se plaindre de leur situation et doivent se donner tout autant pour réussir.

La surprescription des devoirs, un prérequis pour la réussite scolaire ?

L’étude montre que dans les trois familles, les parents surprescrivent tous des devoirs. Pour les familles enquêtées, la surprescription de devoirs est monnaie courante et prend une place importante dans l’organisation du quotidien. Elle est cautionnée et fortement encouragée, et vient renforcer le caractère obligatoire des devoirs issu du schéma éducatif de leur propre enfance. Prescrire des devoirs en plus fait partie d’une posture qui amène les parents interrogés à interpréter leur rôle par rapport aux devoirs en fonction de leur vécu, des difficultés de leurs enfants, mais aussi de leur projection dans l’avenir. Les devoirs sont perçus comme un outil de réussite scolaire.

Cela se traduit par plus de devoirs que l’école n’en demande, plus d’exercices ou de travail que l’attendu. La maison devient en quelque sorte une « antichambre » de l’école. Les parents souhaitent donner de l’avance à leurs enfants sur le programme scolaire, élever le niveau de leur apprentissage (en remettant parfois en question le niveau scolaire de l’école de leurs enfants) ou faciliter l’acquisition de notions futures. Les parents interrogés mettent les devoirs comme une condition, un moyen pour la réussite de leurs enfants. Si les parents interrogés font autant de surprescription, c’est aussi parce que donner des devoirs en plus leur permet de contrôler le niveau de leurs enfants et de les encourager à aller plus loin. Au-delà de l’évaluation, il y a une notion d’exigence. C’est une façon pour eux de s’assurer que les notions sont véritablement acquises, d’aller plus loin dans l’apprentissage, de bien préparer les contrôles et les évaluations. À travers cette surprescription, les parents ont le sentiment de mettre en place de bonnes méthodes d’apprentissage et de s’investir dans l’éducation de leurs enfants, mais aussi, peut-être, d’avoir un rôle dans leur instruction.

Les devoirs à la maison au cœur de malentendus entre parents et équipe éducative ?

Cette recherche de parents met le doigt sur la nécessité pour tous les acteurs de la coéducation d’avoir une vision globale de l’école, c’est-à-dire de comprendre ce qui se passe au sein de l’école mais aussi en dehors, en vue d’accompagner au mieux les enfants dans leur scolarité et leur construction personnelle. Elle met aussi en avant le fait qu’il peut y avoir des malentendus entre ce qui est attendu par les parents (en dehors de l’école) et ce qui est attendu par les enseignants (dans l’école).

Si la recherche n’a pas pu aller à la rencontre des enseignants, les différentes analyses de cet article suggèrent que le passage de l’école à la maison et de la maison à l’école ne va pas de soi. Les devoirs comme outil de liaison entre école et maison ne peuvent être utiles que si chacune des parties sait à quoi ils servent pour les enfants (à quels objectifs pédagogiques ils répondent). Mais aussi, il est important d’identifier ce que chaque partie attend de l’autre et comment faire en sorte que cet outil évolue vers un langage commun. A partir du moment où les mondes concernés (parents, enseignants…) n’échangent pas sur ce sujet, les malentendus auront du mal à être levés.

Conclusion : la coéducation, une démarche avant tout collaborative

Au-delà de la question de la relation parents-école travaillée par l’UPP de Noisy le Grand, l’ensemble des UPP proposent une approche permettant de mettre en regard des mondes et des acteurs complémentaires que sont les parents, les enseignants, les travailleurs sociaux, les représentants politiques ou institutionnels, les universitaires. En menant collectivement des recherches avec le soutien d’universitaires, les parents des UPP partagent leurs expertises et leurs expériences. L’objectif est d’initier des débats entre ces différents acteurs de la parentalité et de l’éducation pour générer avec eux des propositions et des projets autour de la coéducation. C’est là tout l’enjeu et l’intérêt d’impliquer les parents dans des démarches collaboratives : apprendre les uns des autres, mieux se comprendre, pour accompagner au mieux les enfants. « La finalité étant de co-construire des projets pour l’éducation des enfants ensemble »[2]AF-UPP, Op. cit..

Juliette Chauveau
Parent chercheur de l’UPP de Noisy-le-Grand

Emmanuelle Murcier
AF-UPP Initiatives Parentales Citoyennes

Notes[+]