Coéducation
Traditionnellement, la notion de coéducation évoquait le fait de s’adresser à des filles et garçons réuni·es. Mais les questions de mixité sexuelle manient aujourd’hui un autre vocabulaire, tandis que « coéducation » exprime désormais une préoccupation pour l’identité non plus des personnes éduquées, mais des personnes qui éduquent. Son intérêt est de postuler leur pluralité : raisonner en termes de coéducation, c’est partir du principe que tout enfant est destinataire des actions, concomitantes ou cumulées, de plusieurs coéducateurs. En tirer les conséquences conduit à examiner, en principe et en pratique, entre qui et comment les tâches sont réparties ou interfèrent, à quel titre les personnes coéducatrices sont responsables et (le cas échéant) comment elles coopèrent, ou encore comment organiser et améliorer cette répartition.
Vu l’article L. 111-1 du code de l’éducation, l’Éducation nationale se situe dans cette perspective. Cet article, introduit par la loi pour la refondation de l’école de la république du 8 juillet 2013, affirme que : « Pour garantir la réussite de tous, l’école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale »[1]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027677984&categorieLien=id. La précision relative à l’origine sociale entretient l’inquiétude ancienne, répandue et pérenne, que c’est surtout dans les ménages ou territoires concentrant des difficultés sociales que des parents auraient des difficultés à « participer » (car insuffisamment présents à l’école, inadéquatement impliqués dans l’accompagnement scolaire, empêchés par des raisons économiques ou culturelles). Pour ces « parents les plus éloignés du système éducatif », dont les droits d’information et d’expression ne sont pas « effectifs »[2]https://www.education.gouv.fr/bo/13/Hebdo38/REDE1324999C.htm, des mesures comme la « mallette des parents » ou « ouvrir l’école aux parents pour la réussite des enfants » viennent présenter le mode d’emploi de l’institution : aux parents qui souhaitent la réussite à l’école, voilà comment il leur faut coéduquer.
Vue depuis l’Éducation nationale, la coéducation revient donc à faciliter l’adoption, par les parents, des comportements qui lui conviennent. L’art. L. 111-1 met les coéducateurs au service de ses objectifs, non l’inverse : « [l’école] s’enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative »[3]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027677984&categorieLien=id. Or tous les parents ne sont pas disposés à se conformer à l’école telle qu’elle fonctionne : les recherches abondent pour montrer des désaccords insolubles par la seule amélioration de l’information. Y aurait-il contradiction à voir, au nom du principe de coéducation, un coéducateur (l’Éducation nationale) dicter que faire à un autre (les parents) ? La réponse varie suivant le statut qu’on reconnaît à l’Éducation nationale. Si on considère qu’elle exprime l’État, que sa position jouit d’une légitimité démocratique, et que ce qu’elle énonce fait corps avec les intérêts de tous les usagers, il n’y a pas contradiction ; l’Éducation nationale a tout au plus une double casquette, exprimant un objectif commun dont elle est aussi l’un des opérateurs. Mais si on considère que l’Éducation nationale n’est qu’un opérateur d’un projet à définir et légitimer, la question de savoir ce que visent, séparément et ensemble, et comment, les coéducateurs peut alors être rouverte. C’est peut-être un enjeu de la réinvention locale des projets de coéducation.
Philippe Bongrand
Maître de conférences en sciences de l’éducation
CY Cergy Paris Université
Ressource
Pelletier, L., Lenoir, A., (dir.) (2020), Regards critiques sur la relation école-familles, Éditions des archives contemporaines, https://www.archivescontemporaines.com/books/9782813002600
Notes[+]