Mixité, ségrégation, discriminations. De quoi parle-t-on ?
La mixité à l’école est une question sociale centrale, elle se heurte pourtant à trois problèmes essentiels. D’abord celui de la définition de la notion même de mixité dont l’usage s’inscrit dans une polysémie propre à euphémiser la réalité des rapports sociaux ce qui conduit les chercheurs à utiliser plus volontiers le concept de ségrégation. Le deuxième problème est celui de la nature même de la mixité et de la difficulté à penser ensemble les différentes dimensions qui la composent, difficulté qui entraîne dans son sillage bien des enjeux méthodologiques de mesure empirique. Enfin un troisième problème concerne plus particulièrement la question de l’origine ethnoraciale des individus et de la légitimité de la mobilisation d’une telle dimension pour comprendre et analyser les faits sociaux.
Ce que l’on dit lorsqu’on dit « mixité »
La question de la mixité à l’école a longtemps été liée à celle de la scolarisation des filles et des garçons. Dès les années 1960, la question de la pertinence de la séparation des sexes s’est posée au regard de la massification scolaire et des évolutions des mœurs dans la société post Deuxième Guerre mondiale. Aujourd’hui, le terme de « mixité » est utilisé en France pour désigner le mélange social et culturel entre différents types d’élèves. Il est en quelque sorte le pendant positif du terme « ségrégation » plus polémique et porteur d’une forte connotation négative. Dire « mixité » dans ce cas revient à qualifier la façon dont une unité scolaire — un établissement, un secteur de scolarisation public ou privé, etc. — reflète plus ou moins fidèlement la diversité de la population française selon des critères d’origine sociale, de sexe et d’origine migratoire notamment. La mixité est donc aujourd’hui « sociale », « culturelle », voire « ethnoraciale » bien plus que « genrée » même si ces critères de mixité sont interdépendants. Quand le terme est utilisé dans la recherche, dire qu’un collège manque de mixité, c’est dire, sans le dire, qu’il rassemble en majorité des élèves issus de l’immigration et de familles défavorisées. Le terme de mixité évoque donc un sujet difficile dans le contexte français : celui des discriminations, de la ségrégation, notamment dans sa dimension ethnoraciale. La difficulté de l’usage du terme de mixité réside aussi dans une définition du sens commun quasi inversée, quand les acteurs scolaires disent de leur école qu’elle est mixte, c’est une façon de désigner une situation de ségrégation.
Comment mesurer la mixité ?
Si l’on accepte cette définition de la mixité comme reflet inversé de la ségrégation, sa mesure passe par des méthodes de comparaison statistique entre le degré de mixité global dans la société française — ou dans une autre unité géographique plus restreinte telle qu’une agglomération, un quartier ou encore un secteur scolaire — et un établissement d’enseignement. Le développement par la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP) d’un Indicateur de Position Sociale (IPS) est de ce point de vue exemplaire1. À partir d’informations sur le niveau de diplôme, la position professionnelle et d’autres éléments qualifiant les familles des élèves, il permet une mesure fine de la mixité sociale dans les établissements scolaires, mais aussi dans chaque secteur de scolarisation. On a pu ainsi démontrer que les établissements privés en France, bien qu’ils soient largement subventionnés par des fonds publics, scolarisent pour la plupart d’entre eux des élèves de milieux favorisés, voire très favorisés. Il est plus difficile de mesurer la mixité ethnoraciale dans les établissements scolaires car aucune statistique officielle n’existe en France sur cette dimension. Il est certes toujours possible d’obtenir la nationalité des élèves, mais cette information est insuffisante pour mettre en lumière les phénomènes de discrimination et de mise à l’écart liées à l’origine. La conception universaliste qui prévaut en France s’accommode en effet assez mal avec l’idée que l’État serait légitimement habilité à considérer cette dimension comme pertinente pour qualifier les individus. Toutefois la sociologie de l’éducation a montré que la mixité ethnoraciale est, au même titre que la mixité sociale, plus un idéal à atteindre qu’une réalité avérée dans le domaine éducatif comme dans la société en général. Cette question révèle ainsi les fractures françaises, au plan des valeurs mais aussi au plan social et politique.
Débat public et réalités sociales
La question se pose finalement comme une contradiction, une fracture, voire un dilemme, entre les valeurs universalistes et abstraites à la source de la société française et les demandes légitimes de reconnaissances des minorités plus sensibles à la réalité concrète des rapports sociaux et des discriminations. D’un côté, la mesure des origines semble toujours indépassable en France comme le montre un débat récent portant sur l’introduction d’une nouvelle question dans le recensement sur le pays de naissance des parents2. D’un autre côté, s’il reste difficile aujourd’hui d’introduire de telles dimensions dans la statistique publique, il est essentiel que cela puisse continuer à se faire dans la recherche, qu’elle soit menée à l’université ou dans des institutions publiques comme l’Ined3. Ces recherches ont fait avancer la connaissance que l’on a des mécanismes et de l’ampleur de la ségrégation et des situations de discrimination et de relégation vécues dans beaucoup d’établissements et de territoires français4. Elles ne seront pourtant pas suffisantes pour que les politiques publiques s’en saisissent enfin.
Georges Felouzis
Professeur Ordinaire
FPSE – Université de Genève
Barbara Fouquet-Chaubrade
Professeure à l’Université de Genève
- On peut voir sur cette question l’article de Marco Oberti sur le site La vie des idées : https://laviedesidees.fr/Enseignement-prive-et-segregation-scolaire ↩︎
- On peut voir à ce propos la tribune de la Ligue des Droits de l’Homme. https://www.ldh-france.org/20-decembre-2024-tribune-recensement-de-la-population-insee-ne-pas-repondre-a-la-nouvelle-question-sur-le-pays-de-naissance-des-parents-publiee-dans-mediapart/ ↩︎
- Voir par exemple Chris Beauchemin, Christelle Hamel & Patrick Simon, Trajectoires et origines. Enquête sur la diversité des populations en France, Paris, Ined, 2015. ↩︎
- On peut voir le numéro spécial de la revue française de pédagogie : Georges Felouzis, Barbara Fouquet-Chauprade (Éds.), « Les descendants de migrants à l’école : destins scolaires et origine des inégalités », Revue française de pédagogie n°19, 2016. ↩︎