Édito | La mixité non comme un état “déjà-là” mais comme un processus socialement construit
Consacrer un numéro de carnets rouges à la question de la mixité nous est apparu comme une évidence, tant elle est centrale pour qui aspire à penser et à opérer la transformation de l’école en institution sociale de l’égalité et de l’émancipation. Question éminemment politique et donc affaire de choix politiques qui concernent l’ensemble des acteurs du champ éducatif.
Notre parti-pris est de contribuer à éclairer ces choix en s’appuyant sur les nombreux travaux de recherches sur le sujet. Ce qui au passage permet de réaffirmer l’importance majeure des recherches en sciences sociales – très malmenées par les pouvoirs actuellement en place – pour la compréhension et l’éventuelle transformation d’un monde pour le moins complexe. Éclairer les choix en donnant également la parole à des acteurs, praticiens engagés dans l’école telle qu’elle se vit, se pense et telle qu’elle peut se transformer.
Ces recherches, ces paroles, permettent de saisir en quoi, au-delà d’un singulier qui serait réducteur et donc inopérant, les mixités sont plurielles : la mixité sociale ne peut être pensée sans être mise en relation avec la mixité de genre, la mixité ethno-raciale, la mixité scolaire…
Traiter de la mixité à l’école, c’est convoquer l’histoire qui permet de la penser non comme un état « déjà là » sur lequel on aurait peu de prise, mais comme un processus socialement construit à partir d’enjeux contradictoires (d’aucuns diraient de classes). C’est convoquer la sociologie de l’éducation qui permet d’en démonter les mécanismes.
Histoire, sociologie et relation de paroles de praticiens ainsi convoqués dans ce numéro peuvent permettre de (mieux) comprendre les contradictions ou à tout le moins les décalages entre l’utilisation massive du vocable « mixité sociale à l’école » dans les discours officiels et la réalité de sa… non-réalisation.
Une réalité battant en brèche l’idée reçue d’une école républicaine qui aurait fait le choix de la mixité, pour montrer comment, sous couvert de démocratisation, elle a reproduit et continue de reproduire en les complexifiant les cloisonnements et les séparatismes scolaires.
Une réalité qui a pour noms « ségrégation, relégation, discrimination… orientation subie » pour nombre d’élèves des zones paupérisées et/ou issus de l’immigration ou perçus comme tels. Pour eux, les « dispositifs de prévention, de citoyenneté », d’intégration »… le tout enrobé de « bienveillance ».
Une autre réalité, celle de l’enseignement privé sous contrat qui bénéficie de financements publics, sans être soumis aux impératifs de sectorisation scolaire, favorisant ainsi un séparatisme scolaire au bénéfice d’élèves de classes supérieures y faisant fructifier leur capital scolaire. Ainsi s’accroissent les inégalités scolaires et sociales.
Si une très grande majorité d’enseignants disent leur attachement à la mixité sociale à l’école, cet attachement se heurte au quotidien à des difficultés liées aux manques de moyens, au déficit de formation, qui empêchent de prendre en compte pédagogiquement l’hétérogénéité induite par la mixité des élèves. Une hétérogénéité pourtant porteuse de réussites pour tous, comme l’affirment les enseignants qui déclarent « nous ne trierons pas nos élèves ». Certains d’entre eux témoignent dans ce numéro des raisons, modalités et premiers effets, de cet engagement. Ils montrent ainsi que la question pédagogique, ne peut ni ne doit rester un impensé des politiques actuelles de mixité sociale à l’école.
En vous proposant ce numéro sur les mixités, carnets rouges reste fidèle à sa vocation : mettre en partage savoirs et expériences en mouvement. A charge pour nous tous de faire de ces savoirs et de ces expériences multiples les outils d’une transformation radicale de l’école. Concernant les mixités, sociale, ethno-raciale, genrée, scolaire… il s’agit de construire en commun une école non ségrégative : une école de, par, pour l’égalité ; une école de, par, pour l’émancipation individuelle et collective.
Patrick Singéry