Christine Passerieux,  Numéro 32,  Patrick Singéry

Le plan Langevin-Wallon et carnets rouges : 
une filiation

L’actualité du plan Langevin-Wallon1

Carnets rouges s’inscrit dans la filiation du plan Langevin-Wallon, qui dès 1947 considérait comme urgent et nécessaire une refonte complète de l’enseignement, « adapté aux conditions économiques et sociales2 » de son époque. L’exigence « de donner à tous une formation civique, sociale, humaine » est celle de notre revue. De très nombreuses contributions empruntent au plan le projet d’une école qui a pour mission de préparer les élèves à leur avenir de sujet, de travailleur et de citoyens en donnant à tous « une explication objective et scientifique des faits économiques et sociaux, [une] culture méthodique de l’esprit critique, où chacun et tous apprendront « la liberté et la responsabilité ». « Le principe de justice » est le premier principe « celui qui par sa valeur propre et l’ampleur de ses conséquences domine tous les autres ». Un principe qui s’appuie sur deux aspects complémentaires et non antagonistes, comme le prône la politique néolibérale : « l’égalité et la diversité ». Cette conception de la justice ouvre « à tous l’accès à la culture » par une « élévation continue du niveau culturel de la nation » plutôt que par une sélection qui en éloigne les élèves issus de milieux populaires. L’égalité et la diversité se conjuguent concrètement dans le « droit des jeunes à un développement complet ».

La culture est conçue par Paul Langevin « comme une initiation aux diverses formes de l’activité humaine », dans une approche individuelle et collective. L’école doit alors « être un centre de diffusion de la culture », conçue comme un droit assuré individuellement et collectivement afin de devenir un « élément de cohésion qui assure la continuité du passé et de l’avenir ». La culture pour tous, c’est le rejet « d’une hiérarchie entre les tâches et les travailleurs » et « la reconnaissance de l’égale dignité de toutes les tâches sociales, de la haute valeur matérielle et morale des activités manuelles, de l’intelligence pratique , de la valeur technique ».

Pour ce faire, le texte propose une conception de l’orientation où « la formation du travailleur ne doit en aucun cas nuire à la formation de l’homme ». La spécialisation alors ne saurait être « un obstacle à la compréhension de plus vastes problèmes » car « une solide culture libère l’homme des étroites limitations du technicien ».

L’immense intérêt, toujours actuel, de ce plan est la traduction concrète des principes qui le fondent avec des mesures de justice sociale, où l’individu et le social sont toujours pensés dans leurs interrelations : éducation gratuite de la maternelle à l’université, tant pour les frais d’études que dans la prise en compte des « conditions et des moyens de vie des élèves et des étudiants » ; scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans ; augmentation du nombre des enseignants qui doivent bénéficier d’une « situation matérielle et morale en rapport avec leur valeur technique et humaine et la place éminente qu’ils tiennent dans la vie nationale » ; pédagogie active inspirée de l’éducation nouvelle (Langevin puis Wallon ont été présidents du GFEN) ; révision de la carte scolaire ; construction d’équipements scolaires ; « extension du rôle [de l’école] dans la formation économique, civique et humaine de la nation »…

Ce plan en rupture avec les politiques précédentes ne sera pas appliqué mais n’a cessé de faire référence. Si le contexte n’est plus le même les principes qui le fondent prennent une résonance particulièrement forte alors qu’une vague brune menace, que la droite néolibérale déconstruit pas à pas le système public d’éducation. Mais les uns et les autres ne peuvent effacer l’ambition du plan, si cette ambition actualisée est largement partagée, pour devenir réalité.

Christine Passerieux
Rédactrice de carnets rouges

Carnets rouges, l’éducation au cœur

Septembre 2014 : 
parution du n°1 de carnets rouges

L’objectif de la revue était ainsi défini dans le premier édito : « …Chaque trimestre, des militants politiques ou associatifs, des syndicalistes, des chercheurs apporteront leurs analyses et leurs propositions sur des questions vives pour que l’éducation prenne toute sa place au cœur des débats de société. Dans l’échange et la contradiction, il s’agit de construire ensemble le projet d’une transformation progressiste de l’école, pour mettre l’éducation au service de l’émancipation individuelle et collective. »

Ni revue scientifique, ni revue de vulgarisation, carnets rouges, créée à l’initiative de membres du réseau école du PCF, s’adresse à celles et ceux qui partagent cet objectif.

Octobre 2024 : bilan d’étape

Débattre pour énoncer et proposer : cette ligne est tenue depuis 10 ans. Le comité de rédaction s’est renouvelé et renforcé grâce à la diversité de ses membres (parcours professionnel, syndical, appartenance ou non à une organisation politique, génération, genre…) réunis sur des valeurs communes, comme le sont les contributeurs et les contributrices mais aussi les lectrices et les lecteurs.

La pluralité d’approches est pour nous garante d’un travail d’élaboration cohérent et exigeant, faisant la preuve, comme l’affirmait Lucien Sève, de la capacité de tous à concevoir et s’approprier des savoirs de haut niveau qui permettent de comprendre et transformer le monde.

Octobre 2024, et après…

Aujourd’hui plus que jamais, il s’agit de mettre à l’ordre du jour un projet faisant barrage à l’école de l’exclusion et de l’obscurantisme que porte l’extrême-droite, un projet de rupture avec celle, néo-libérale, du tri social et scolaire.

Un projet qui engage toutes et tous à penser et à opérer collectivement la nécessaire transformation d’un système éducatif socialement destructeur, pour lui substituer « le développement multilatéral de tous les individus… devenant capables de prendre directement en mains toutes leurs affaires sociales ». (Lucien Sève)

Un projet qui, pour reprendre la définition lumineuse que donne Yves Clot du collectif, ne soit pas le carcan d’un « déjà-dit qu’il s’agirait de dépoussiérer, mais l’objet et la méthode de co-élaboration d’un pas-encore-dit ».

Être partie prenante de cette dynamique et contribuer à la faire vivre, tel est toujours l’engagement, éthique et politique, de carnets rouges.

Parick Singéry

  1. Voir également : Pierre Boutan, Le plan Langevin-Wallon, une ambition pour l’école, Carnets Rouges, n° 13, mai 2018. ↩︎
  2. Toutes les citations sont extraites de l’Introduction au Plan. ↩︎