Abécédaire critique de la “novlangue” dans le champ éducatif,  Numéro 20,  Régis Ouvrier-Bonnaz

Option et orientation

Aujourd’hui, le mot option rabattu sur celui de spécialité remplace celui de choix dans le langage des décideurs. Présentant la réforme des lycées, le Ministre de l’Éducation Nationale justifie ce glissement sémantique[1]Matinale de France-Inter, le 28 mars 2019 (www.vie-publique.fr). : « Vous dites aux élèves de seconde de réfléchir de janvier à juin aux disciplines qu’ils aiment, j’insiste ce qu’ils ont envie de faire, pas de conformisme, pas de l’artificialité, quelque chose qui leur plaît, et comme ça leur plaît, ils approfondissent davantage ». « Les séries ES, L, S disparaissent car elles ne tenaient pas suffisamment compte de la diversité des talents et des aspirations des lycéens. Les séries sont remplacées par des enseignements de spécialités au nom de la liberté de choisir en suivant ses goûts et ses centres d’intérêts »[2]Site du Ministère de l’Éducation Nationale en 2019..

Chaque élève construit son parcours en sélectionnant 3 spécialités parmi les 12 proposées. Au nom des talents, des goûts et des intérêts et sous couvert de sécurisation et d’optimisation des parcours, les élèves sont tenus de personnaliser un parcours qui trouve sa justification dans leur essence.

En 1768, le président du Parlement de Paris, esquissant les critères de distribution des enfants dans des filières d’études différenciées précisait : « Chacun doit être à portée de recevoir l’éducation qui lui est propre. Chaque terre n’est pas susceptible du même soin et du même produit ; chaque esprit ne demande pas le même degré de culture ; tous les hommes n’ont ni les mêmes besoins, ni les mêmes talents, et c’est en proportion de ces besoins et de ces talents que doit être réglée l’éducation publique »[3]Cité par Viviane Isambert-Jamati (1973). La notion d’orientation dans l’enseignement secondaire. Analyse historique des critères proposés dans les textes officiels. OSP, 2, 129-141, p. 131.. Depuis les arguments n’ont guère varié pour justifier les différences de traitement des élèves dans le système scolaire : aptitudes différenciées considérées comme une donnée congénitale, opposition entre les intelligences abstraites et les intelligences concrètes, théorie des dons ou des handicaps socio-culturels, habillage moderne des aptitudes par les compétences. L’objectif est toujours le même : ignorer les déterminismes sociologiques de la réussite et de l’échec des élèves et minimiser le rôle des apprentissages scolaires dans la construction biographique des jeunes.

À bien y regarder, la mise en place d’enseignements optionnels, en masquant la réalité des déterminismes inégalitaires et en brouillant la lecture des mécanismes de relégation caractéristiques du fonctionnement de l’orientation, remet en cause la légitimité de l’accès à une culture commune pour tous déjà largement mise à mal par l’existence de la voie générale et professionnelle après la classe de troisième de collège. Dans les faits, à de rares exceptions près jamais vraiment expérimentées, un système construit sur des enseignements optionnels, s’oppose à l’idée de culture commune s’il ne repose pas sur l’existence d’un tronc commun – seul dispositif garantissant l’acquisition progressive par tous les élèves des outils conceptuels et matériels susceptibles de faciliter la compréhension des situations et des objets constitutifs de leurs différents milieux de vie, leur permettant ainsi de mieux maîtriser, seuls et avec les autres, le monde dans lequel ils vivent pour s’y situer, y agir, y faire des choix raisonnés et, en retour, se développer et grandir.

Régis Ouvrier-Bonnaz
Groupe de recherche et d’étude
sur l’histoire du travail et de l’orientation (GRESHTO)
Centre de recherche sur le travail
et le développement (CRTD)
Conservatoire national des arts et métiers

Ressource

Ouvrier-Bonnaz, R., Pour lire Wallon sur l’orientation. Paris, Éditions Sociale, 2019[4]Voir la note de lecture de cet ouvrage publiée dans Carnets rouges..

Notes[+]