Christine Passerieux,  École et politique(s),  Numéro 10,  Patrick Singéry

Édito | École et politique(s)

Toute pratique sociale, s’inscrit de manière dynamique et contradictoire dans un rapport de forces économique, politique, idéologique et agit en retour sur ce rapport de forces.

La question de l’Education, telle qu’elle est historiquement instituée en France, n’échappe pas à l’évidente banalité de cette remarque préliminaire :

Multiplicité des rapports, abondance et richesse des recherches sociologiques, historiques, pédagogiques, parutions diverses, succession de réformes… tout indique que l’Ecole est un des piliers essentiels de tout projet de société. Elle est à ce titre à interroger sans cesse sur les finalités qui lui sont assignées, les modalités de sa mise œuvre, les effets humains et sociaux qu’elle produit.

Derrière l’apparent consensus sur les « défaillances » du système éducatif français (creusement des inégalités, échec scolaire socialement marqué…) se dessinent des interprétations et des réponses contradictoires alors que service public d’Education est de plus en plus ouvert aux logiques marchandes d’entreprises privées.

L’exigence d’égalité semble être très largement partagée : que ce soit dans les discours officiels ou dans les revendications sociales, nul ne saurait s’en affranchir. Elle est cependant contredite et empêchée par une doxa libérale qui, au nom de différences « naturelles », prône et tente d’imposer une individualisation des parcours scolaires et professionnels aux effets sociaux inégalitaires et ségrégatifs. Elle est aussi contredite dans certaines pratiques sociales individualis(an)tes qui contribuent au développement du repli sur soi et de son corollaire, l’ exclusion. »

La promotion de « l’innovation » et d’ « alternatives » pédagogiques s’opère, y compris dans l’institution scolaire, sans en interroger les fondements idéologiques. Les enseignants sont confrontés à des prescriptions contradictoires alors que leur formation n’est plus à l’ordre du jour. L’école est assignée à prendre en charge l’ensemble des problèmes sociétaux (lutte contre l’obésité et contre le terrorisme, éducation à la santé, à la circulation routière…) et se trouve ainsi progressivement dessaisie de sa fonction première de transmission d’une culture seule garante de la formation de l’homme et du citoyen.

La réalité complexe de l’école est l’objet de discours médiatiques pour le moins simplificateurs, qui relaient sans autre forme de procès les discours les plus conservateurs voire réactionnaires.

Les avancées et ruptures inscrites de haute lutte dans la loi de refondation de l’Ecole se heurtent à des obstacles eux aussi inscrits dans cette loi qui affirme la capacité de « tous les enfants à apprendre et progresser », et qui, dans le même temps, donne comme finalités à l’Ecole d’ « orienter et de former les élèves en tenant compte de leurs aspirations et de leurs aptitudes » ou de « développer l’esprit (?) d’initiative et la compétence à entreprendre ».

C’est parce que ces contradictions, et quelques autres, ne sont actuellement pas résolues, qu’il importe de les mettre à jour afin de pouvoir agir « en connaissance de cause » pour la transformation d’une Ecole dont nous continuons à penser, avec d’autres, qu’elle doit être au service de l’émancipation sociale et humaine.

C’est en ce sens que l’Ecole est bien le lieu du politique et, pour tout dire, un enjeu de lutte de classes.

Patrick Singéry & Christine Passerieux