Lectures Jeunesse,  Numéro 19

Celle qui venait des plaines

A l’Ouest, quelque chose de nouveau…

Le western est un genre peu représenté en littérature jeunesse contemporaine, peut-être victime de l’image désuète des récits de la bibliothèque verte des années 1960. Plusieurs titres récents repartent à la conquête de ces espaces romanesques en les explorant de manière renouvelée. Place y est faite notamment aux femmes, dans un univers largement masculin. En voici deux qui, dans un style très différent, savent conjuguer récit d’aventures et réflexion sur la société, et mettent au premier plan deux figures féminines.

À découvrir également : Sans foi ni loi.

Couverture : Celle qui venait des plaines
Celle qui venait des plaines,
Charlotte Bousquet,
éditions Gulf Stream, 2017.

Littérature jeunesse proposé par Françoise Chardin.

Un autre titre pourrait être : « La conquête de l’Ouest pour les nuls », tant ce roman minutieusement documenté constitue un rappel passionnant de ce que furent la réalité et les mythes de cette période. Le massacre des Amérindiens, l’acculturation à coups de trique des enfants arrachés à leur famille pour le salut de leur âme, les terres et les identités confisquées sont bien sûr largement évoqués, mais en mentionnant aussi les rivalités de clans et les aventures personnelles savamment exploitées par les colons pour imposer leur loi.

Nous sommes en 1921 et Virgil, un journaliste new-yorkais rescapé de la Grande Guerre, part rencontrer Winona, une métisse Sioux, nièce du grand chef Crazy Horse, qui a tué son père. Le livre de chevet de Virgil, celui qui l’a poussé à voir dans la guerre de 14 une occasion formidable de suivre les traces de son père, est intitulé Les Incroyables Aventures des Steele Men, racontées par Billie Vince d’après les souvenirs du cadet du quatuor de héros du Far West, Franck Allen. Le père de Virgil, Seth, fut l’un des quatre, et mourut de la main de celle qu’il avait épousée, Winona, la Vipère de l’Oklahoma.

Pourquoi ? C’est précisément à cette question que veut obtenir réponse Virgil quand il vient trouver Winona dans sa retraite au bord de l’Océan, et, tout imprégné de ses idéaux de juste vengeance, il souhaite en la tuant, rendre justice à son père. Mais tuer ou écouter pour savoir, il faut choisir, et Virgil choisit d’écouter malgré les mises en garde de son hôtesse : La vérité, Virgil ? C’est un projet ambitieux. Dangereux, aussi. […] »La vérité, c’est le mustang dont on rêve jour et nuit, sans savoir si un jour on voudra le monter. Sans savoir d’ailleurs, si on y survivra. »

Trois voix alternent dès lors dans le roman, bien mises en évidence par la typographie, ce qui donne au livre l’aspect d’un coffre mystérieux d’où l’on extirpe des secrets tirés de supports multiples. La première est celle de Winona, dont le récit déroule la biographie et donne vie à ce que put être la vie d’une enfant puis d’une femme métisse dans cette fin de vingtième siècle.

En écho, des extraits des Incroyables Aventures… Il faut avoir vérifié que ce roman est une pure invention de Charlotte Bousquet pour ne pas se laisser prendre, tant elle livre un pastiche abouti des romans d’aventures dont l’héroïne ne peut être que charmante et paisible bêtasse ou créature satanique : figurent dans ses remerciements Alexandre Dumas et ses Trois Mousquetaires

« Ce qui le frappa, ce ne furent ni sa taille svelte ni l’échancrure de son décolleté bordé de dentelle noire, mais l’intensité de son regard émeraude et la sensualité de ses lèvres pleines et rouges comme des groseilles.[…]Franck se méfiait de cette femme trop belle au sourire étincelant, mais sa volonté ne lui appartenait plus. »

La troisième voix est celle de Virgil, dont le journal rend compte de cette confrontation permanente entre la légende qui l’a construit et la réalité qui le déstabilise. D’autant plus que Winona ne lui promet aucune vérité révélée : « Ce ne sera qu’un point de vue, tu sais, » dit-elle à Virgil.

Cette confrontation permanente entre mythe et réalité est d’autant plus intéressante que Charlotte Bousquet montre bien combien la légende a naturellement construit la bonne conscience des vainqueurs, mais a également constitué la seule forme de survie accordée à un peuple détruit. Une large place est accordée dans le roman au Wild West Show de Buffalo Bill, spectacle mettant en scène les grandes batailles du Far West, dont les protagonistes jouaient parfois leur propre rôle. Comme le constate sombrement un jeune indien s’adressant à Winona : « Notre langue est interdite. Nos rites sont interdits. Nos croyances sont interdites. A ton avis, que restera-t-il de nous dans dix ans ?[…] De pauvres imbéciles acceptant d’être photographiés pour quelques dollars et une bouteille de whisky. Des bouffons rejouant inlassablement l’histoire tronquée de leur propre fin dans le cirque de Buffalo Bill. »

Autre chose reste en tout cas, 150 ans après, avec la lecture d’un beau roman qui est aussi un projet politique !