Mister Orange
Créer en 1943, tel est le point commun thématique de ces deux romans[1]Voir aussi : Lever de rideau sur Terezin, par ailleurs de tonalités différentes. Comment l’art peut-il être force de résistance et de projection dans l’avenir en un moment historique particulièrement sombre ?
Les romans jeunesse ne sont pas légion à faire du projet artistique un personnage à part entière. Profitons-en pour les faire connaître…
Mister Orange
Truus Matti, traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron, La joie de lire, 2016.
Lecture jeunesse proposée par Françoise Chardin.
Mister Orange, c’est l’histoire de la brève mais décisive rencontre entre un jeune New-Yorkais, Linus, et celui que son père a surnommé sur la liste des clients à livrer de l’épicerie « Mister Orange », faute d’avoir bien compris son nom aux consonances compliquées, et puisque ce client excentrique ne commande que des oranges par cageots.
En ce mois de septembre 1943, tout sourit à Linus. Son frère aîné, engagé volontaire en Europe, lui lègue à son départ une entrée dans le monde des plus grands : changement de chaussures qui ne lui martyriseront plus les orteils – chaque enfant de la fratrie récupère le même jour celles de son aîné immédiat, et Albert part en guerre avec des souliers neufs – ; changement de chambre, qu’il ne partagera plus avec les petits ; changement de tâche, puisque lui incombent désormais les livraisons de l’épicerie familiale. Enfin, Bertie lui a confié sa précieuse collection de Superman, qui le conforte dans l’idée que son frère reviendra en héros forcément vainqueur : depuis le début de la guerre, la plupart des épisodes montrent le super héros combattant les soldats nazis. Le jeune garçon entretient un dialogue réconfortant avec cet ami imaginaire.
Lorsque Linus pousse la porte de Mister Orange, il découvre une pièce qui l’éblouit : au lieu des intérieurs sombres chargés de lourds meubles qui lui sont familiers, il pénètre dans un atelier totalement blanc, parsemé de toiles aux carrés de vives couleurs.
L’originalité de la complicité qui se noue peu à peu entre le jeune livreur et le peintre est qu’elle repose d’abord sur une communion de perceptions sensorielles. S’il est déconcerté par le mode de vie de l’artiste, Linus plonge de plein pied dans l’univers de ses couleurs : on dirait qu’elles tremblent, propose-t-il, dans sa volonté de mettre des mots sur ce qu’il ressent, lui qui ne cesse de demander à son père pourquoi les odeurs n’ont pas de nom, et qui note avec joie que cette question paraît tout à fait pertinente au peintre.
L’objet transitionnel de leur relation, ce sont ces couleurs primaires qui pour Linus sont associées à son héros Superman et qu’il retrouve dans les toiles exposées. Et lorsque Superman révèle des pouvoirs insuffisants pour préserver des blessures et de la mort son frère et ses amis, c’est contre le peintre qu’il dirige sa déception et sa fureur. Vous ne pouvez quand même pas gagner la guerre en mettant des carrés de peinture sur une toile blanche ? Mais à la différence de Superman, Piet Mondrian peut engager le dialogue et tenter d’expliquer au jeune garçon pourquoi ces petits carrés de couleur constituent un tel danger aux yeux du pouvoir nazi qu’il a interdit ses toiles. Et l’amène à grandir en lui montrant comment un monde imaginaire peut se créer et donner un pouvoir bien réel sur le monde. En cela, Mister Orange est un vrai roman d’apprentissage.
Un joli roman qui montre sans lourdeur, et donne une grande envie de découvrir ou redécouvrir Victory Boogie Woogie et l’œuvre de Mondrian en ayant pour lui les yeux de Linus. Sans limite d’âge, comme le suggère la sage maxime de la rubrique « catégorie d’âge » de la très jolie couverture qui affirme : « Chaque lecteur est unique » !
Notes[+]
↑1 | Voir aussi : Lever de rideau sur Terezin |
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