Numéro 18,  Propositions de lecture

L’origine sociale des élèves | Patrick Rayou (dir.)

Sous la direction de Patrick Rayou, Éd. Retz, Collection Mythes et réalités, 2019

Note de lecture proposée par Christine Passerieux

Les mythes ont la peau dure, la chose n’est pas nouvelle, et sont aussi en matière d’éducation un instrument idéologique et politique pour justifier l’injustifiable[1]Patrick Rayou, Le Café pédagogique, 5 novembre 2019, c’est-à-dire une école qui trie et sélectionne selon des critères d’origine sociale, culturelle ou ethnique alors qu’elle occupe une place de plus en plus importante dans les histoires individuelle et collective. « L’école peut tout » (le mérite est déterminant), « l’école ne peut rien » (on ne peut lutter contre les pesanteurs sociologiques). Ces deux mythes perdurent comme deux facettes indissociables d’une même médaille en naturalisant les différences entre élèves et en évacuant la question sociale. Ils servent avant tout à affirmer qu’il y aurait des inégalités justes, selon la très pertinente formule du premier texte.

D’autres mythes les alimentent, et sont analysés par l’équipe de chercheurs qui accompagnent Patrick Rayou, à travers le filtre d’études récentes. Leur travail donne des outils pour montrer que si les mythes n’ont pas de validité scientifique, ils relèvent d’une construction idéologique et politique, fort utile lorsqu’il s’agit de ne rien changer et de maintenir un système éducatif profondément inégalitaire, en imputant aux élèves eux-mêmes et à leurs familles réussites et échecs. L’ouvrage prend le contrepied des discours dominants, largement partagés, en montrant l’utilité sociale[2]Patrick Rayou, ibid. des mythes.

Cinq mythes selon lesquels « l’école peut tout » sont démontés avec une concision très efficace  :  le mérite suffit ; respecter le programme garantit l’égalité ; les parents collaborent les enfants réussissent ; ouvrir l’école sur la vie facilite l’accès aux savoirs  :  l’exemple des albums de jeunesse ; l’ouverture sociale bénéficie à tous les élèves.

L’ensemble de ces mythes repose sur les mêmes présupposés idéologiques, consubstantiels de l’école républicaine  :  c’est le mérite conjugué avec l’égalité des chances, qui permettrait la réussite scolaire. En effet les élèves issus de milieux socioculturels connivents avec le milieu scolaire sont massivement en réussite, car les attendus de l’école leur sont familiers. Mais là est leur principal mérite, qui relève non de prétendus talents individuels mais bien de leurs origines sociales. Si l’école ne peut tout, elle pourrait infiniment plus en donnant à tous les clefs de la socialisation scolaire, en rendant explicite ce qui pour les élèves issus des classes populaires demeure opaque. L’entrée dans les apprentissages scolaires n’est pas plus naturelle que spontanée, elle relève d’une construction qui ne se fait pas également dans tous les milieux et doit donc se faire à l’ecole.

Dans une deuxième partie, cinq mythes selon lesquels « l’école n’y peut rien ». La formulation est intéressante car elle signifie que c’est bien aux inégalités liées à l’origine sociale des élèves que l’école ne pourrait rien. On retrouve les inégalités justes bien installées dans les têtes, assimilées à des handicaps naturels. La réalité pourtant nous montre que la naturalisation des différences ne tient pas  :  des élèves qui « devraient » au regard de leurs origines réussir échouent alors que des élèves issus de milieux populaires réussissent lorsque les pratiques d’enseignement s’y emploient.

Contrairement à ce que véhiculent les mythes, les auteurs démontrent que l’échec ségrégatif n’est pas une fatalité, mais le résultat d’un système organisé pour sélectionner sur des bases élitistes de reproduction. L’ouvrage n’a pas vocation à ajouter de la désespérance. Au contraire, il ouvre un champ de réflexion qui introduit de la complexité là où les mythes figent, enferment, assignent. Pour chacun des mythes étudiés, les auteurs s’attachent à donner des clefs de compréhension afin que puissent se conjuguer leurs recherches avec les savoirs des acteurs de l’éducation. Perspective fort intéressante qui fait écho, dans le contexte actuel, à ces propos de Bourdieu, qui en 2002 et à propos de la grève de 1995 écrivait qu’un mouvement ne peut réussir que s’il réunit plusieurs composantes en les intégrant et non en les juxtaposant !

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