Lectures Jeunesse,  Numéro 9

Le garçon qui nageait avec les piranhas

Petit lecteur deviendra grand pourvu qu’auteur lui donne envie !

Carnets rouges vous présente ce mois-ci deux romans* qui ont un point commun : celui de proposer au jeune lecteur une première sensibilisation au travail de l’écriture qui leur fera découvrir que savoir donner vie à ces drôles de créatures de papier, c’est un métier, celui de l’écrivain, et qu’il peut être très amusant de se regarder lire dans les miroirs que lui tendent les narrateurs du récit.

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Le garçon qui nageait avec les piranhas
Le garçon qui nageait
avec les piranhas
,
David Almond, traduit de l’anglais par Diane Ménard,
Editions Gallimard jeunesse, 2015.

Littérature jeunesse proposée par Françoise Chardin.

Lorsque le chantier naval Simpson ferme ses portes, Ernest Potts, ouvrier licencié, a une vision, celle d’un empire de la conserverie de poisson, dont il serait l’empereur. Commence alors l’aventure désastreuse des Superbes Sardines Potts, Magnifiques Maquereaux Potts, Parfaits Pots de Pilchards Potts… Nouveau héros des Temps modernes, Ernest, en trois premiers chapitres trépidants, transforme sa maison en gigantesque usine, soumet sa femme et son neveu Stanley, qu’il a recueilli, à des cadences infernales, réduit à un placard leur espace vital, et se trémousse devant ses manettes en chantant à pleine voix ses hymnes aux poissons. La tante de Stanley parvient à négocier un jour de congé pour son neveu en cadeau d’anniversaire. Ironie du sort, Stan rapporte de la fête foraine treize sacs de… poissons rouges gagnés au stand de la pêche aux canards de M. Dostoïevski, qui deviennent ses seuls amis dans cette vie en conserve. Devons-nous sortir nos mouchoirs, émus ? Que nenni, nous prévient le narrateur qui surgit alors d’entre les lignes :

« Que pourrait-il y avoir de plus affreux ? » vous demanderez-vous peut-être à juste titre. Oh, lecteur innocent, fais ton travail, et lis. Ecoute simplement ! Supporte ! Ou bien ferme ce livre, et pars ! Tourne-toi vers des histoires plus heureuses. Laisse derrière toi ces pages bientôt désespérées-désolées-désenchantées. Pars vite ! Sinon, continue à lire.

Et puisque nous avons mordu à l’hameçon, nous découvrons avec Stan et horreur, quelques pages plus loin, une nouvelle boîte de conserve couverte d’une inscription dorée : Prodigieux Poissons Rouges Potts. Le crime signe le départ de Stan, qui va suivre la troupe de la fête foraine ambulante, embauché par monsieur Dostoieïsky. C’est le début d’une superbe aventure picaresque, pleine de personnages tendres, féroces ou truculents, qui va amener Stan à devenir le successeur du grand Pancho Pirelli, celui qui sait nager dans le bassin des piranhas, et enseigne à Stan son art. Au fait, ces piranhas, sont-ils finalement plus cruels et redoutables que les agents zélés du Département pour l’Interdiction des Nuisances Gluantes d’Hurluberlus Excentriques, qui invitent chaque habitant à dénoncer tout voisin frappé d’excentricité, et pourchassent forains et marginaux ?

Au terme de ce parcours doublement initiatique, celui du jeune héros et du lecteur fréquemment sollicité, ce dernier est invité à prendre congé de Stan : Alors, crions hourra pour Stanley Potts. Ce garçon est devenu quelqu’un de différent. Il est le gamin maigrichon qui a grandi au milieu de toutes sortes de difficultés, d’anguilles sous roche, et de dinguerie, mais qui est suffisamment courageux et audacieux pour être le héros de cette histoire. Sa vie s’est ouverte devant lui.

Et pour finir, un grand coup de chapeau à la traductrice, qui a si bien su rendre le frétillement des mots et la jubilation des accélérations et des pauses de ce beau récit !