Numéro 32,  Propositions de lecture

Enseignants, les nouveaux prolétaires ? | Frédéric Grimaud

enseignants les nouveaux proletaires
Enseignants, les nouveaux prolétaires ?
Frédéric Grimaud,
ESF, 2024

Note de lecture proposée par Adrien Martinez

Avec son dernier ouvrage, « Enseignants, les nouveaux prolétaires ? Le taylorisme en marche », Frédéric Grimaud propose une analyse critique des transformations récentes du métier de professeur des écoles. Les réformes successives du service public d’éducation ont en effet conduit tout à la fois à une dégradation des conditions de travail et une perte d’autonomie professionnelle. Frédéric Grimaud montre en quoi cela relève d’un processus de prolétarisation comparable à ce qu’ont connu les ouvriers au début du 20ème siècle avec l’avènement du taylorisme.Taylor visait l’optimisation de la productivité en rationalisant et décomposant les tâches des ouvriers, et de ce fait les réduisant à un simple rôle d’exécutant. C’est dans cette filiation historique que Grimaud inscrit les réformes éducatives récentes, en particulier celles de Jean-Michel Blanquer.Deux axes principaux signent la prolétarisation du métier enseignant : 
la précarisation (dégradation des conditions de travail, précarité croissante des carrières et déclassement salarial) et la déqualification du travail enseignant. La déqualification est le fruit de l’imposition croissante de prescriptions ministérielles sur les contenus et les pratiques, méthodes et évaluations, du recours justificatif à la “science” (neurosciences), et de la multiplication des évaluations standardisées comme mécanisme de contrôle. Les réformes de la formation initiale et continue, en sont un des leviers comme la mise en place d’échelons hiérarchiques intermédiaires (conseillers pédagogiques, évolution du métier de la direction d’école…). Enfin les atteintes aux collectifs de travail, qui constituaient des remparts contre l’imposition de prescriptions verticales, font sauter des moyens de résistances.La prolétarisation du métier est renforcée par des changements institutionnels : autonomisation et territorialisation des établissements visent l’enrôlement des enseignants dans leur propre prolétarisation. Cette prolétarisation a différentes conséquences : dégradation de la santé des personnels, affaiblissement de la puissance sociale des enseignant·es, marchandisation et dualisme scolaire ou standardisation de l’agir enseignant, renoncement à une vision émancipatrice de l’école.Le cinquième et dernier chapitre revêt une importance particulière, car il dépasse le constat pour proposer des pistes de résistance et d’action face à cette prolétarisation. En effet le travail ne se laisse jamais entièrement dissoudre dans la prescription, les agents étant sans cesse en situation de “renormalisation” du prescrit face au réel, où se niche une résistance, plus ou moins cachée, plus ou moins consciente, qu’il nomme liberté. Cette capacité d’adaptation et de créativité est une forme de résistance intrinsèque au métier.Grimaud insiste par ailleurs sur l’importance cruciale des collectifs professionnels comme espaces de résistance et de reconstruction du métier. Il appelle à défendre et à organiser collectivement les controverses professionnelles au cœur du métier.De ce point de vue les mouvements pédagogiques, le syndicalisme, ont une fonction cruciale. Car il s’agit de rendre possible la désobéissance pédagogique. « La résistance à ce processus de prolétarisation est une question de survie. Si le travail résiste c’est parce qu’il est humain. Si les PE résistent c’est parce que leur métier est vivant ».Dans sa conclusion, Frédéric Grimaud évoque un regret. « Celui de n’avoir pas su articuler les phénomènes de taylorisation, de précarisation, de déqualification, avec les logiques de domination que vivent mes collègues femmes ».Nous dirons que ce livre, en faisant une synthèse à la fois des mesures entravant les métiers de l’enseignement, des éclairages de la clinique de l’activité et de la sociologie du travail, montre à quel point mettre au centre de notre réflexion militante l’enjeu du travail est essentiel. Les politiques éducatives articulent dégradation des conditions de travail, soumission professionnelle et promotion de pratiques pédagogiques inégalitaires pour tuer un métier porteur d’émancipation. C’est à construire des espaces syndicalo-pédagogiques, où le métier pourra se réinventer pour porter une haute idée de ce que peut être l’école, qu’il faut nous atteler.