Christine Passerieux,  Enjeux de l'école inclusive,  Numéro 18

Édito | Enjeux de l’école inclusive

Le ministère a annoncé pour la rentrée 2019 « une école pleinement inclusive » dont il s’est sans attendre déclaré très satisfait. Pourtant, le triomphalisme ministériel se heurte une fois de plus à la réalité des faits. Nombre de parents s’inquiètent des conditions de scolarisation de leur enfant et en particulier lorsque son droit aux soins n’est pas respecté ou que ses progrès sont difficilement perceptibles. L’énorme flou de la catégorie « élèves à besoins éducatifs particuliers » se traduit par une naturalisation des différences réelles entre élèves, (porteurs de handicaps ou désignés « en difficulté scolaire » s’y retrouvent) et par la promotion de l’individualisation.

Les AESH attendent contrat et salaire alors même qu’augmente leur temps de travail, de plus en plus fragmenté (interventions auprès d’un plus grand nombre d’enfants dans des écoles différentes et parfois éloignées). Sans réelle formation alors qu’ils ne cessent de revendiquer la reconnaissance de leur métier.

Comme les enseignants, eux aussi privés de formation et soumis à des prescriptions contradictoires (individualiser et faire réussir tous les élèves dans un contexte de concurrence, de classement, de performance, de mérite, à toutes les étapes de leur scolarité) ; soumis à des injonctions
pédagogiques sans assise scientifique quoi qu’il en soit dit ; soumis à des surcharges bureaucratiques pour le moindre projet.

Dans ce contexte où l’exercice du métier est empêché, les enseignants se retrouvent isolés pour faire face à l’ensemble des difficultés rencontrées. La charge émotionnelle que représentent les difficultés d’exercice de leur métier est d’autant plus lourde qu’ils se sentent impuissants. Et les
ravages sur les personnes sont considérables.

Les dispositifs se multiplient. Ainsi pour le PIAL (Pôle inclusif d’accompagnement localisé) où l’essentiel de l’inclusion est l’attribution d’un « accompagnant », relativisant de fait la question centrale du droit à l’accès aux savoirs.

Dans une logique ouvertement libérale, largement promue par l’ONU qui en 2019 a demandé à la France de fermer ses établissements médico-sociaux, les économies ne sont pas négligeables pour un gouvernement qui considère que la prise en charge des enfants relève d’une approche
purement comptable. C’est cette même logique qui menace par exemple les SEGPA, alors qu’elles ont fait la preuve de leurs capacités à redonner confiance et désir d’apprendre à de nombreux adolescents.

Car il ne suffit pas de décréter « l’inclusion » pour que les élèves apprennent, sauf à penser qu’il suffirait de fréquenter l’école pour entrer dans les apprentissages scolaires. Il ne suffit pas « d’inclure » pour que les enseignants enseignent à tous sauf à penser que la réponse est dans
la multiplication de dispositifs. S’agit-il « d’inclure » ou de scolariser c’est-à-dire de créer les conditions d’une formation de tous qui participe à l’émancipation de tous et de chacun ? Là est la question. A laquelle la « bienveillance » ne peut répondre !

Il est donc plus qu’indispensable de prendre en compte la réalité des situations ordinaires de classe, sachant qu’elles ont des conséquences sur la santé physique, mentale et psychique des élèves comme des personnels ; et de s’interroger sur la désinstitutionalisation en cours, qui a pour effet premier de dissocier le droit à l’éducation du droit aux soins. Tout comme il est indis pensable de s’affranchir des logiques comptables et technocratiques au nom desquelles est mise en place une politique scolaire de tri des élèves, qu’ils soient « à besoins particuliers » ou non.

Des réponses existent pour prendre en compte cette réalité complexe, qui passent par la mise en commun des expériences professionnelles et des travaux de recherche et s’appuient sur la conviction, sans surestimer ni sous-estimer les différences, que tous les élèves sont capables de réussir c’est-à-dire de s’émanciper.

Peut-il y avoir un autre projet pour une école vraiment démocratique ?

Christine Passerieu
Membre du comité de rédaction de Carnets rouges

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