A diplôme égal, salaire égal : La bataille de la réussite professionnelle commence à l’université !
« Aujourd’hui on donne vraiment le Baccalauréat à n’importe qui, les diplômes ne valent plus rien ! ». Dans la série des propos de café du commerce, la critique de la massification universitaire tient une bonne place. Alors qu’en 2013, 44% des 25-34 ans étaient diplômés de l’enseignement supérieur, la théorie « trop de diplôme tue le diplôme », sorte de nouveau « malthusianisme universitaire », vient accompagner l’essor continu des qualifications depuis les années 1960. Selon les tenants (tous très diplômés) de cette théorie, il faudrait réserver l’apprentissage des connaissances les plus pointues à une élite, sans quoi les titres universitaires en seraient dégradés et dévalués.
En réalité, si les études s’allongent, si les qualifications minimales requises augmentent, c’est que l’économie et la société se transforment. La maîtrise de savoirs et de techniques complexes sont à présent au cœur de l’ensemble des métiers. Parallèlement, la productivité horaire augmente ; elle est sans doute en France la plus élevée au monde. De nouveaux marchés s’ouvrent, répondant à de nouveaux besoins.
Cette critique de l’enseignement supérieur est donc non seulement fausse, mais aussi malhonnête : elle dédouane le patronat de sa lourde responsabilité en termes de chômage et de précarité. Si toutes les statistiques montrent que le diplôme reste le meilleur bouclier contre le chômage, la période d’instabilité que connaissent les jeunes diplômés à la sortie de leurs études a tendance à s’allonger. De la même manière, la sous-qualification (c’est à dire le fait d’être embauché sur un poste requérant des qualifications moins élevées que celles dont on dispose) est aujourd’hui chose courante. On parle ici de docteurs sous-payés, d’ingénieurs embauchés sur postes de techniciens ou encore de diplômés de licence contraints à se tourner vers des emplois très peu qualifiés. Ce phénomène conduit au gâchis des talents et des compétences, et condamne des branches professionnelles entières à la stagnation. A l’inverse, déqualifier des postes permet au patronat de sous-estimer la valeur du travail effectué et donc de gagner en marges financières.
“ Effacer le travail, effacer les intelligences et énergies à l’origine de toute richesse, voilà l’équation première du capitalisme, le tour de passe-passe entretenant en permanence le mythe fondateur du « self-made man ».”
En fait, le patronat a tout intérêt à employer des salariés dotés de hautes qualifications, sans les leur reconnaître. C’est tout le sens de la bataille menée par les libéraux autour des Unités d’Enseignement (UE) et des parcours d’études personnalisés. Ainsi, on rend les parcours d’études spécifiques à chaque individu, ce qui empêche toute protection collective. On rend les qualifications illisibles et inopérantes, et on laisse le soin au seul patronat d’évaluer le travail. Effacer le travail, effacer les intelligences et énergies à l’origine de toute richesse, voilà l’équation première du capitalisme, le tour de passe-passe entretenant en permanence le mythe fondateur du « self-made man ». C’est bien parce que les jeunes constituent une force productive indispensable au capitalisme de demain que l’idéologie dominante entretient en permanence les poncifs sur les étudiants flemmards, les jeunes ne cherchant pas d’emploi… Et c’est bien parce qu’il a vitalement besoin des savoirs et savoir-faire acquis par des milliers de jeunes dans l’enseignement supérieur que le patronat met autant d’énergie à les masquer et à les dévaluer.
Alors, dans ce contexte, comment reprendre le pouvoir sur notre travail et nos qualifications ? La bataille ne s’arrête pas à l’entreprise, et commence en réalité bien avant l’entretien d’embauche. Le patronat s’est attaqué à l’université et aux diplômes pour casser l’emploi de tous les diplômés, c’est donc dans l’enseignement supérieur que se joue une partie décisive de la bataille. Tout d’abord, pour garantir des diplômes de valeur semblable partout en France, il faut s’assurer que le contenu des formations soit semblable. Il faut donc remettre en cause les lois d’autonomie des universités, et instaurer le cadrage national des contenus de toutes les formations, avec une trame programmatique nationale en licence. Ainsi que l’on étudie à Paris, Grenoble ou Limoges, une licence de droit doit comprendre dans les grandes lignes les mêmes contenus et objectifs pédagogiques.
Bien sûr pour cadrer le contenu des formations, il faut aussi leur garantir les mêmes financements. C’est le sens du cadrage national budgétaire : au contraire des logiques libérales, l’Etat doit garantir le fonctionnement régulier du service public d’enseignement supérieur, par des dotations à la hauteur des besoins, prenant en compte le nombre d’inscrits dans chaque filière et les besoins spécifiques à chaque formation. Les petits groupes de TD à 20 étudiants, les locaux et équipements neufs ne doivent pas être l’apanage des grandes écoles, mais bénéficier à tous.
“ Plus aucun salarié ne doit pouvoir travailler et être payé en deçà de ses qualifications.”
Des diplômes sanctionnant les mêmes contenus et financés à même hauteur, voilà de solides bases pour reconstruire les qualifications ambitieuses et les protections collectives dont le monde du travail a besoin. Mais pour arracher au patronat un de ses pouvoirs discrétionnaires les plus puissants, il manque une pièce à ce projet : le cadrage de l’insertion professionnelle. Plus aucun salarié ne doit pouvoir travailler et être payé en deçà de ses qualifications. Pour cela, il est urgent d’inscrire dans une grande convention nationale interprofessionnelle l’ensemble des niveaux de diplômes, du brevet des collèges au doctorat, et d’y faire correspondre une grille salariale minimale, comme le propose la CGT. C’est la voie vers l’égalité salariale entre hommes et femmes, mais aussi vers la fin de la concurrence à l’embauche entre les jeunes diplômés.
Avec un réel respect des qualifications, prenant en compte diplômes et expérience professionnelle pour rémunérer le travail à sa juste valeur, nous pourrions faire reculer le pouvoir patronal en termes de fixation des salaires, de conditions de travail et pourquoi pas d’embauche, avec la logique du pré-recrutement pour certaines professions. Des milliers d’étudiants et de travailleurs l’affirment déjà quotidiennement : c’est le progrès social et non le profit qui doit servir de boussole à nos formations et à notre travail. C’est, avec les étudiants communistes, l’une des urgentes batailles que nous entendons remporter sur nos campus.
Antoine Guerreiro
Secrétaire national de l’Union des Etudiants Communistes (UEC)
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