Pony | Raquel Jaramillo Palacio

Pony,
Raquel Jaramillo Palacio,
traduit de l’anglais par Isabelle Chapman,
Gallimard jeunesse, 2023
Notes de lecture jeunesse par Françoise Chardin
Dans l’Ohio des années 1860, à Bonneville, le jeune Silas vit seul avec son père depuis la mort de sa mère à sa naissance. L’événement déclencheur, la trace fondatrice de l’histoire, nous est livré par la Gazette de Bonneville du 27 avril 1858. Réfugié sous un arbre lors d’un violent orage, Silas est frappé par la foudre. Lisons la suite : « S’il s’en est sorti indemne, l’enfant conservera cependant de sa mésaventure un souvenir singulier : une image de l’arbre inscrite tel un blason sur son dos ! »
Inspiré par ce « daguerréotype par foudroiement », Martin Bird, le père de l’enfant, passionné par les techniques nouvelles de la photographie, imagine un nouveau procédé par lequel du papier trempé dans une solution d’iodures et de sel reçoit l’empreinte, par son exposition à la lumière, d’un négatif sur verre. Très vite, ses portraits aux sels de fer enthousiasment la bonne société des environs et font sa fortune.
Mais en l’occurrence, le bonheur de l’un fait le malheur du même et Silas et son père reçoivent un soir la visite de trois individus plus ou moins patibulaires, qui viennent enlever Martin Bird – qu’ils s’entêtent à nommer Mac Boat – pour le conduire auprès de leur chef, un certain Roscoe Ollerenshaw, afin de mettre le talent du photographe au service de leur lucrative activité de faux monnayeurs.
Silas, tout imprégné de sa lecture préférée du Télémaque de Fénelon, décide bravement de partir sur les traces de son père pour le sauver. Pour l’aider dans sa quête, on trouvera pêle-mêle : un cheval laissé par les bandits, qu’il baptise Pony ; un ami fantôme imaginaire, Mittenwool, compagnon de son enfance ; un vieux Marshall, Enoch Farmer, policier fédéral à la recherche de Roscoe Ollerenshaw et du célèbre faux monnayeur Mac Boat ; sans oublier le précieux violon resté muet depuis la mort de la mère de l’enfant.
Et nous voilà partis dans une course poursuite digne des meilleurs westerns à travers des paysages superbement évoqués y compris dans leur épaisseur historique : les gémissements entendus par l’enfant lorsqu’il chevauche à travers la forêt sont-ils le fruit de son imagination, le souffle du vent, ou la trace des souffrances infligées dans ce bois aux Indiens par les colons ?
Au cours de cette périlleuse traversée, le vieux shérif Farmer et Silas mettent à leur service réciproque, non sans frictions, leurs expériences respectives de la vie et des livres, dans des passages remplis d’humour :
« Télémaque est accompagné dans ses aventures par un homme du nom de Mentor. Un peu comme vous, non ? Je veux dire, vous m’apprenez à vivre dans les bois, à faire du feu et à me débrouiller tout seul.
Je pensais qu’il allait se sentir flatté. Il se borna à renifler et puis il leva sa gourde, comme s’il allait boire à ma santé.
– T’es un gosse très bavard, tu sais ça ? se contenta-t-il de dire.
Je rougis. Je me sentais soudain très stupide ».
Les amateurs de suspens et d’aventures trouveront leur compte d’adrénaline dans l’affrontement final spectaculaire avec les bandits.
L’ensemble du roman constitue une sorte de métaphore géante du processus photographique de la révélation progressive d’un cliché. Les personnages découvrent peu à peu leurs identités superposées, de Mac Boat à Martin Bird, du violon de marque Mittenwald à son incarnation dans l’ami Mittenwood, passeurs du souvenir de la mère de Silas et de l’enfant qu’elle avait vainement cherché à sauver.
Au rebours d’un ésotérisme pesant, compagnons imaginaires, fantômes, lectures, ombres et souvenirs réconcilient fantastique et réalisme pour armer Silas au terme de ce beau roman d’apprentissage :
« Tu as été un si bon ami, Mittenwool.
Il baissa les yeux.
– Mais si tu dois y aller, je comprendrai, continuai-je. Tu peux partir. Je suis assez fort à présent ».
Le vif intérêt porté par l’autrice à l’histoire de la photographie, dont témoigne la postface, irrigue un roman qui interroge notre rapport à toutes ces images mentales qui forgent notre vie.
Et que se rassurent ceux et celles que rebuterait l’annonce très réductrice de la quatrième de couverture nous promettant la peinture de « l’amitié indéfectible entre un enfant et son cheval », Pony n’est pas le Poly des années 60, et Mittenwood n’a pas à prendre ombrage de voir Silas partir sur sa croupe dans la dernière page du roman !