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Le maître insurgé

Le maître insurgé,
Articles et éditoriaux
,
Célestin Freinet,
1920-1939, Libertalia, 2016.

Note de lecture proposée par Christine Passerieux

En cette période de révolutions pédagogiques auto proclamées, et largement relayées par nombre de médias, il y a de quoi s’interroger sur l’usage du terme de révolution, lorsque celle-ci se révèle un retour réactionnaire à l’idéologie des dons, la naturalisation du développement des enfants et l’essentialisation d’un devenir élève qui tourne le dos aux vraies questions posées par un échec ségrégatif caractéristique du système éducatif français. Bref en guise de nouveautés, il s’agit d’abord de ne rien changer à l’existant des inégalités sociales qui deviennent des inégalités scolaires.

La sélection de textes de Célestin Freinet, présentés et commentés par Grégory Chambat et Catherine Chabrun, est dans ce contexte une invitation à ne pas laisser les questions d’éducation à la droite la plus conservatrice, mais bien de s’en emparer car « sans la révolution de l’école, la révolution politique et économique ne se fera pas » (Freinet, 1920). Aucune nostalgie dans cette publication mais la mise en partage de textes de « l’éducateur prolétarien », qui a participé activement au développement de l’éducation nouvelle, trop souvent « oubliée » ou réduite à des méthodes ou des techniques qui la trahissent. Ces textes publiés entre 1920 et 1939 montrent l’engagement d’un homme qui pensait les relations dialectiques entre changement de l’école et changement du monde, dans une éducation nouvelle toujours nouvelle quand elle pense la question pédagogique comme une question politique, promeut des pratiques qui visent à l’émancipation.

Y compris pour en discuter, et éviter tout dogmatisme. En effet si les thèses de Freinet, fortement imprégnées de rousseauisme ont apporté de vraies ruptures en matière de conception de l’enseignement, des rapports entre école et société, les travaux contemporains montrent qu’il n’y a pas d’appétence spontanée et naturelle pour les apprentissages scolaires, que la diversité des pratiques sociales a des incidences fortes sur la construction du sens de l’école, des savoirs et des apprentissages. Et que cette conception naturalisante du devenir élève participe très largement à creuser les écarts, dans une école qui ne donne pas à tous ce qu’elle requiert comme le dénonçait Bourdieu et empêche ainsi l’égalité dans l’accès aux savoirs.

Discuter donc les écrits de Freinet pour réengager les débats professionnels, redonner sens au métier, repenser les liens entre école et société qui ne sauraient se réduire à des heures de morale, fut-elle laïque, s’emparer de la question de l’éducation, travailler ici et maintenant à des pratiques qui ouvrent à la pensée critique, en s’appuyant sur les contradictions du système comme autant de leviers : « Notre effort commun pour la régénération de l’enseignement n’aura pas été inutile s’il a contribué à donner aux élèves quelques velléités de libération et aux maitres une idée plus précise de leur rôle social dans la société capitaliste » (1927).