Numéro 34,  Propositions de lecture

L’autonomie des élèves. 
Injonctions, pratiques, inégalités | Patrick Rayou

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L’autonomie des élèves. 
Injonctions, pratiques, inégalités,
Patrick Rayou
Presses Universitaires de Lyon, 2024, 173 p.

Note de lecture proposée par André Robert

Patrick Rayou nous propose des analyses d’une grande variété de situations d’apprentissage avec pour enjeu la conquête de cette compétence essentielle. Subdivisé en quatre grandes parties, « Philosophie de l’autonomie », « Apprendre de façon autonome », « Autonomie et malentendus », « Une autonomie à construire », le livre s’organise autour d’une problématique générale : « L’autonomie est devenue un principe éducatif à tel point incontestable qu’elle semble requise de plus en plus tôt dans la scolarité sans que soient fortement interrogées les conditions qui la rendent accessible à tous les élèves ». Si ce mot d’ordre d’autonomie paraît en phase avec une école privilégiant des pratiques langagières de type « code élaboré » plus propres aux classes moyennes-supérieures, il tend à créer des difficultés à ceux qui ont des pratiques langagières se conformant au code « restreint », peu adapté au modèle scolaire dominant, car ayant été socialisés dans des familles dites « positionnelles » où les rôles et les échanges verbaux sont d’une autre nature (Bernstein). Peut-on alors envisager l’autonomie de manière égalitaire, comme tend à le faire accroire le discours de l’institution républicaine, en écho à son postulat d’égalité des chances ?

L’auteur nous aide à nous repérer dans les usages conceptuels de la notion, tous porteurs de tensions, et à poser le fait que toute volonté de (faire se) construire l’autonomie d’un sujet nécessite des étayages. Ce terme s’avère d’ailleurs comme le pivot des analyses et des propositions formulées. Il convient de commencer par la considération des « arrière-plans des apprentissages », i.e. la pluralité des horizons à partir desquels s’engagent les processus relatifs à l’apprendre, les univers d’une grande partie des élèves ne correspondant pas à celui installé par la forme scolaire. D’où la nécessité impérative de prendre sérieusement en compte ces arrière-plans. D’où aussi l’importance de distinguer des « registres d’apprentissage » qui se superposent (cognitif, culturel, identitaire-symbolique), cela devant conduire les enseignants à ne pas se masquer « le poids de la subjectivité dans les trajectoires scolaires ». Conditions indispensables pour que les élèves les plus en difficultés « configurent correctement (…) leurs manières de comprendre, de travailler, de s’engager ».

Le sociologue accorde évidemment toute leur importance aux terrains. Les observations menées tant auprès des enseignants, des parents que des élèves révèlent de nombreux malentendus. Dans le vif des situations restituées, le lecteur verra son attention attirée sur les différents styles de familles quant aux manières de traiter les devoirs à la maison ou de trouver de « bonnes » techniques d’apprentissage, de faire avec ou « à la place » des enfants ; les différentes manières de faire cours, où parfois le mode d’organisation en petits groupes rate sa cible faute d’avoir été soigneusement pensé en amont ; les malentendus survenant chez les élèves dans la lecture et interprétation de textes ou oeuvres d’art, autant en raison de leurs mécompréhensions des codes et attendus de la forme scolaire que des ambiguïtés des instructions officielles, et des modes d’approches didactiques plus ou moins appropriés des enseignants. Même les fameux « dispositifs » présupposent en fait une acquisition déjà réalisée de l’autonomie pour se montrer efficaces. Et, dans le cadre de la massification, l’enseignement supérieur ne saurait échapper à son tour à de tels malentendus.

Le dernier chapitre vise à construire. Patrick Rayou renforce le concept d’étayage versus celui de compensation qui tend à réifier un ou des déficits irréductibles. Il en appelle à une sensibilité socio-didactique aigüe des enseignants, qui – via une formation revue – leur permette de construire les conditions aptes à faire émerger, chez les élèves défavorisés, le fait de s’autoriser à considérer les professeurs comme de vraies « ressources ». Il appelle à « écouter » les élèves et leur intelligence pointue des situations pédagogiques quand ils sont placés dans la position d’avoir à les réfléchir. C’est d’ailleurs cet appel à favoriser la construction de positions « méta » – dans la ligne de Vygotski – qui caractérise toute la riche réflexion finale, à travers d’autres situations didactiques particulièrement significatives. Cela passe par la capacité des enseignants de savoir inventer sans cesse des médiations mobilisatrices de multiples supports favorisant la mise en acte de la réflexivité, base de l’autonomie. C’est dire combien ce livre, dont ces trop courtes lignes ne peuvent restituer toute la palette, sera précieux aux enseignants et combien il s’impose d’ores et déjà comme un incontournable de la formation.