École : 
de quelle(s) mixité(s) parle-t-on ?,  Isabelle Bertolino,  Numéro 34

La difficile conception 
des politiques de mixité sociale à l’école

La mixité sociale à l’école est un enjeu majeur de modernisation du système éducatif français qui souffre de dynamiques profondément ségrégatives. Cependant, l’expérience montre que la représentation du problème par l’établissement d’un diagnostic essentiellement quantitatif est par trop limitative. L’étude du cas haut-garonnais1 illustre cette problématique.

L’opérationnalisation du principe de mixité sociale à l’école

La carte scolaire, telle qu’elle fut créée en 1963 par le ministre de l’Éducation nationale Christian Fouchet, visait à la fois un aménagement plus équitable des moyens scolaires à travers le pays et une massification de l’instruction permettant la montée en qualification de la population. Or, très rapidement puis tout au long des décennies suivantes, la dimension égalitaire de cette dynamique a été mise en question, la fonction sélective du système scolaire est constamment priorisée au détriment de la fonction éducative et de socialisation.

Suite à la loi du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, les départements eurent la charge de la sectorisation des collèges. Enfin, à la faveur de l’inscription, en 2013, de la question de la mixité sociale dans le code de l’Éducation, la carte scolaire parut devenir un levier d’action possible sur les problèmes de ségrégation scolaire. La modification de l’article I. vise à garantir un accès à l’éducation de tous les enfants dans d’égales conditions et le renforcement de la participation des familles au système scolaire.

Dans le cas haut-garonnais, c’est à la suite de la vive émotion suscitée par les attentats terroristes islamistes, en 2015, que la question de la valorisation de la République en qualité d’entité laïque promouvant l’égalité des chances, revint dans le débat public. Le Conseil départemental de la Haute-Garonne, qui était alors dans la même majorité politique que le gouvernement, lança une politique devant favoriser la mixité sociale au sein des établissements dépendants de son intervention.

La concomitance de ces évènements n’est pas sans effet et crée un arrière-plan idéologique qui, dans cette perspective, fait de la mixité sociale essentiellement un outil d’intégration sociale. Choukri Ben Ayed relève qu’il existe différentes acceptations relatives à la notion de mixité sociale qui traduisent les motifs politiques sous-jacents à la mise en œuvre des dispositifs. L’auteur note que « La mixité sociale ne peut en effet s’envisager comme un allant de soi. Si la défense de la mixité sociale à l’école apparaît comme un objectif, au nom de quels principes cet objectif est-il rendu légitime ? Quelles seraient les finalités visées ? ».

D’une politique d’intégration des élèves défavorisés à la promotion de l’égalité des chances et de l’équité du système scolaire

En Haute-Garonne, l’analyse des rapports présentés et votés au sein de l’assemblée départementale montre une évolution des propositions en deux temps, suite à l’enquête menée auprès des familles dans le cadre de la concertation citoyenne.

Dans le premier rapport, produit par le Conseil départemental en 2016, on peut noter une propension à se focaliser sur les publics dits défavorisés et sur la constitution d’un équilibre social au sein des établissements qui est d’ailleurs le premier principe opérationnel énoncé. Puis, est énoncé ce qui est considéré comme les principes constitutifs de l’école de la république :

  • Intégrer.
  • Contribuer au vivre ensemble.
  • Favoriser la réussite de tous selon son mérite.

L’ambition annoncée est de rapprocher la composition des établissements de la moyenne toulousaine constatée, tous établissements confondus, par l’accueil de 31 % d’élèves défavorisés dans chaque collège.

Suite à ce premier rapport voté à l’unanimité, un second rapport est publié en 2017 au sortir de la phase d’enquête avec les partenaires et les publics. Il précise l’ensemble des dispositifs mobilisés dans ce programme qui vise dorénavant :

  • A lutter contre les déterminismes sociaux.
  • A relever le défi de la mixité sociale dans les collèges pour favoriser la réussite de tous les élèves.

Une politique de mixité sociale 
radicale accompagnée de nombreuses mesures compensatoires

Parmi les propositions concrètes partagées durant la phase de concertation citoyenne, le département a présenté les regroupements de secteur laissant le libre choix aux familles, autrement dit le partage entre deux établissements d’un même secteur de recrutement. Cette solution a été rejetée par les familles dites défavorisées par crainte de voir se renforcer la non-mixité scolaire de leurs collèges avec le départ des meilleurs élèves. Cette solution a donc été écartée au profit d’une stratégie s’appuyant sur la fermeture de 2 collèges REP+ particulièrement ségrégés du quartier populaire du Mirail et l’affectation des écoliers dans des collèges dits favorisés de la métropole toulousaine.

Par ailleurs, ce nouveau rapport traduit le souci des politiques de déployer des mesures d’accompagnement devant favoriser la réussite des élèves. Le travail d’équilibrage social réalisé par le biais de la sectorisation n’est pas considéré comme suffisant pour garantir l’efficience du dispositif de mixité. Dans la liste des décisions, on note à la fois la volonté de maintenir des dispositions jusque-là réservées à l’éducation prioritaire et d’en développer de nouvelles plus adaptées à cette situation inédite.

  • Transport scolaire direct et gratuit pour tous les élèves.
  • Élargissement de l’offre, notamment associative en matière de mesures d’accompagnement des élèves et de leur famille : soutien scolaire, soutien à la parentalité, médiation de cours de récréation, …
  • Côté Éducation nationale, conservation des moyens actuels attribués aux réseaux d’éducation prioritaire renforcés dans les collèges de rattachement.

Enfin un rapport ultérieur, présenté et voté en janvier 2018, portait sur la mise en œuvre d’un système financier incitatif, dit « système de bonus/malus » qui vise à moduler les dotations départementales aux établissements en fonction de leur niveau de mixité sociale et après pondération en fonction du nombre de familles défavorisées présentes sur leur secteur de recrutement.

Une comparaison de différents dispositifs territoriaux de mixité sociale

Etienne Butzbach2, en 2018, a mené une étude en qualité de coordinateur du Réseau Mixité à l’école pour le CNESCO. Il met en regard différents dispositifs de mixité sociale développés à travers le territoire français au lendemain de la publication de la circulaire d’application de la mixité sociale à l’école sous l’égide du ministère de Najat Vallaud-Belkacem.

L’observation effectuée confirme l’hypothèse selon laquelle la phase d’élaboration et de mise en débat du diagnostic partagé est essentielle. Face à la complexité de la politique à mettre en œuvre, la qualité du diagnostic est une condition nécessaire à la mobilisation des acteurs et à la bonne mise en œuvre.

Or, la plupart des diagnostics étudiés s’appuient essentiellement sur l’analyse quantitative des situations bien que l’on puisse supposer qu’un traitement impersonnel ne suffise pas à effacer les multiples intérêts et enjeux antagoniques qui sous-tendent le débat. On peut alors se questionner sur la façon dont on problématise la situation à partir de données essentiellement chiffrées.

Suite à l’étude approfondie du cas haut-garonnais, d’autres dimensions semblent devoir être éclairées de notre point de vue, comme par exemple :

  • La mobilisation et la formation des équipes pédagogiques et éducatives.
  • Le soutien à une coéducation active et la mixité sociale des parents d’élèves.
  • La prise en compte de la mixité scolaire dans la composition des classes.

Le relevé de ce type d’information ne peut s’effectuer à distance ou à partir de données impersonnelles, il nécessite une enquête fine de terrain sous un format favorisant la prise en compte de l’expérience des acteurs.

Le suivi des politiques de mixité 
sociale expérimentées à l’école

  • Le vademecum3 du ministère recense différentes modalités de mise en œuvre et on peut observer quels sont les principaux leviers d’action mobilisés par les partenaires grâce aux données recueillies ultérieurement par Julien Grenet, Elise Huillery et Youssef Souidi4. Nous les détaillons ci-dessous en indiquant entre parenthèses les sites concernés.
  • La re-sectorisation autour d’un ou plusieurs établissements (Toulouse, Saint Malo, Roanne, Arras, Clermont-Ferrand, Strasbourg, Paris, Noisy-le-Grand).
  • Le secteur multi-collèges – ce procédé s’appuie sur le partage d’un même secteur de recrutement par plusieurs collèges (Redon, Rive-de-Gier, Brest, Nancy, Briey, Lunéville, Paris).
  • La montée alternée entre deux collèges proches géographiquement – ce procédé complexe consiste à alterner le recrutement entre deux secteurs et deux établissements distincts par leur composition sociale non mixte (Paris, Bischwiller).
  • La fermeture et l’ouverture d’établissements dans des secteurs mixtes (Toulouse, Brest, Saint Malo, Nancy).
  • Des solutions sans changement de sectorisation – essentiellement mobilisés en milieu rural, elle consiste à apparier des établissements et à les faire travailler en réseau.

A l’origine de l’expérimentation le ministère revendiquait un peu plus de 80 sites volontaires, aujourd’hui les chercheurs chargés de l’étude d’impact recensent 56 collèges sur 22 sites. Ces travaux, de type quantitatif, comparent « les élèves des collèges engagés dans cette initiative avec les élèves de collèges similaires non engagés » et analysent « les effets des actions engagées sur la composition des collèges impliqués ainsi que sur les résultats scolaires, le bien-être personnel, et le bien-être social des élèves ».

La synthèse des résultats montre que si la mixité a des effets positifs sur le bien-être des élèves quel que soit leur milieu social d’origine, en revanche, elle ne produit pas d’amélioration significative des performances scolaires. Aussi, s’il y a consensus au niveau national et international sur l’importance du phénomène de ségrégation dans le système scolaire français, il n’y a pas de consensus sur la meilleure façon d’y remédier.

S’émanciper de l’éducation prioritaire pour s’émanciper des stéréotypes 
attachés à la jeunesse des quartiers ?

En conclusion, la conception des politiques de mixité est objet de tension entre des acteurs locaux, tel le département de la Haute-Garonne, qui prennent des initiatives fortes, l’État et des publics hétérogènes aux intérêts distincts. Si la recherche peut éclairer les phénomènes de ségrégation sociale et scolaire et évaluer les effets de dispositifs de mixité sociale, en revanche concevoir et mettre en œuvre la mixité sociale dans les écoles est avant tout un enjeu politique. Cette politique doit se concevoir au sein de l’espace démocratique dans la perspective de ce à quoi tiennent les populations et celles et ceux qui les représentent. Les chercheurs peuvent, au mieux, accompagner le mouvement par des apports méthodologiques, et critiques.

« Le plan d’amélioration de la mixité sociale dans les collèges haut-garonnais » bouleverse localement la donne en décidant de la fermeture de deux établissements REP+ et de l’affectation des élèves de ces secteurs dans des collèges hors éducation prioritaire. Si les moyens déployés laissent espérer que ce dispositif de mixité sociale travaille à créer un environnement inclusif, nous devons toutefois veiller à vérifier dans la durée ses effets sur les élèves issus des secteurs REP+. Autrement dit, que ces élèves ne soient pas dans l’obligation de devoir composer avec les stéréotypes qui les menacent, et que ne soit pas ignoré ce qui les spécifie en tant qu’individus au profit de ce qui les spécifierait en tant que groupe présumé, à savoir : le groupe des élèves vivant au Mirail.

Isabelle Bertolino
Docteure en sciences de l’éducation et de la formation
Chercheure associée à 
l’UMR EFTS Université Toulouse-Jean Jaurès
Cheffe de projet chargée de l’évaluation 
des politiques éducatives,
Conseil départemental de la Haute-Garonne.

Bibliographie

Choukri Ben Ayed (2015). La mixité sociale à l’école. Tensions, enjeux, perspectives, Armand Colin.

  1. Isabelle Bertolino, Contribution à la définition de la mixité sociale à l’école par l’évaluation du dispositif haut-garonnais. Thèse soutenue le 12 septembre 2024. Université Toulouse-Jean Jaurès ↩︎
  2. En ligne : https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2018/10/181026_Cnesco_Butzbach_mixite_sociale_ecole.pdf ↩︎
  3. En ligne : https://fr.scribd.com/doc/297666868/Agir-pour-la-mixite-sociale-et-scolaire ↩︎
  4. https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/Projets/conseil_scientifique_education_nationale/Note_CSEN_2023_09.pdf ↩︎