Lectures Jeunesse,  Numéro 5

Justice pour Louie Sam

Justice pour Louie Sam
Justice pour Louie Sam,
Elisabeth Stewart, traduit par Jean Esch, Editions Thierry Magnier, août 2014.

Littérature jeunesse proposée par Françoise Chardin.

Pour des colons blancs vivant en 1884 à la frontière du Canada et des Etats-Unis, la révolution du «tous capables» est encore loin d’être acquise. Les natifs indiens sont à peine considérés comme des êtres humains à part entière, tout au mieux des sauvages qu’on peut espérer civiliser un peu. Lorsque le jeune George Gillies, fils de fermiers, découvre le corps d’un de ses voisins, il adhère sans réserve à la thèse des adultes qui l’entourent : l’assassin est un Indien, Louie Sam, contre qui les témoignages s’accumulent. Le lynchage collectif paraît dès lors la réponse la plus adéquate, et George va participer à l’expédition punitive et assister à la pendaison. C’est à partir de cette scène fondatrice que le doute s’installe en lui et qu’il mène sa contre-enquête, envers et contre tout et tous.

Tiré de faits réels, Justice pour Louie Sam pourrait se contenter d’être un excellent documentaire historique, et il l’est bien sûr : racisme, réflexes communautaires, préjugés et obscurantisme, effet de meute, sont largement donnés à voir. Meurtre, recherche du coupable, indices, soupçons et fausses pistes : le jeune amateur de roman policier trouvera aussi son compte de récit classique, permettant une lecture aisée qui laisse de la place et du temps pour la réflexion.

Car le roman dit surtout avec force l’ingrat et salutaire travail de grandir en s’émancipant, parfois douloureusement, de ses représentations antérieures. Le choix de faire de Georges le narrateur du récit permet de suivre son évolution psychologique à travers son expression même : au style simple, presque enfantin, du temps des certitudes, succède la complexité de ses interrogations et de ses doutes : assister à la pendaison fait-il de lui un coupable complice ou un homme initié ? Si fier d’avoir enfin accès au monde envié des adultes, il en découvre peu à peu les bassesses et les compromissions, y compris celles de ses propres parents, dépeints avec subtilité, tiraillés entre lâcheté confortable et envie de comprendre le combat de leur fils …

Un beau roman qui ne rend pas seulement justice à Louie Sam, mais à tous ceux qui s’efforcent comme le narrateur de tracer entre des lignes parfois trop droites leur zigzag d’apprentissage…