Comment j’ai écrit un roman sans m’en rendre compte
Petit lecteur deviendra grand pourvu qu’auteur lui donne envie !
Carnets rouges vous présente ce mois-ci deux romans* qui ont un point commun : celui de proposer au jeune lecteur une première sensibilisation au travail de l’écriture qui leur fera découvrir que savoir donner vie à ces drôles de créatures de papier, c’est un métier, celui de l’écrivain, et qu’il peut être très amusant de se regarder lire dans les miroirs que lui tendent les narrateurs du récit.
*À découvrir également : Le garçon qui nageait avec les piranhas
Comment j’ai écrit un roman sans m’en rendre compte,
Annet Huizing, traduit du néerlandais par Myriam Bouzid, Syros, 2016.
Littérature jeunesse proposée par Françoise Chardin.
Au terme d’un premier chapitre posant les deux thèmes majeurs du roman, l’absence de la mère de la narratrice, morte depuis 10 ans, et l’irruption dans la vie familiale de la nouvelle amie du père, Dirkje, une rupture brutale, soulignée par un changement de typographie :
Cette partie, je l’ai réécrite douze fois.
Douze !
Selon Lidwine, c’est tout à fait normal. Elle dit que même des écrivains chevronnés ne produisent parfois qu’une seule phrase par jour.
Une seule !
Et en plus, cette unique phrase finit souvent dans la corbeille à papier.
Le lecteur, engagé paisiblement dans un roman miroir d’une vie d’adolescente de 13 ans, comprend alors que ce qui se joue est en fait sa capacité à mettre en mots cette histoire, au prix d’un impitoyable travail de réécriture permanent, sous la férule exigeante de Lidwine, auteur consacrée et voisine de Katinka. Celle-ci a eu un jour l’audace de traverser la rue pour s’ouvrir à elle de son projet : devenir écrivain. Le moment de vie qu’elle décide de raconter est celui où Dirkje est entrée dans sa vie. Mais pour faire comprendre à son futur lecteur la portée exacte de cet événement, ne lui faut-il pas raconter d’abord la disparition de sa mère, présenter son père et son petit frère Kalle, sa maison, son style de vie ? Autant de questions jusqu’à en avoir le vertige de la page blanche :
Je devais commencer par le commencement. Mais où commençait le commencement ?
Katinka comprend vite qu’elle ne peut sortir indemne de cette tâche. Métamorphoser ses proches en personnages ne va pas sans difficulté ni souffrance. Et cette mère disparue, dont elle pensait n’avoir même pas eu besoin de faire le deuil, tant ses souvenirs en étaient flous et lointains, ressurgit bientôt, sous l’effet douloureux et salutaire à la fois du travail d’écriture : faut-il édulcorer les mots, et écrire par exemple « décédée » plutôt que « morte » comme le lui suggère de dire tante Addie qui trouve inconvenant pour une petite fille d’employer en société ce terme trop cru ?
Mais le mot « décédée », je le trouve bizarre. Lidwine est d’accord avec moi et c’est une spécialiste, puisqu’elle est écrivaine. Alors je continue tout simplement à dire « morte ». Tant pis si c’est cru.
-La mort aussi est crue, dit Lidwine.
Il est rare d’arriver à conjuguer un propos aussi ambitieux à l’égard de jeunes lecteurs sans jamais rebuter ni ennuyer. L’histoire de Katinka prend forme sous nos yeux – plaisir simple de l’intrigue -, et l’histoire de son roman, et celle de son amitié avec Lidiwine, aussi précieuse et exigeante que les nombreux conseils qu’elle lui prodigue et qui constituent de véritables petites leçons d’écriture qui pourront ravir tous ceux et celles qui ont envie de se lancer dans l’aventure du journal intime… ou plus prosaïquement de la « rédaction » à remettre, en la considérant sous un autre angle.
Un romancier réfléchit non seulement à ce qu’il écrit, mais aussi et surtout à ce qu’il laisse de côté, a dit Lidwine.
Il en va de même de l’auteur d’une note de lecture : c’est à la fois avec regret et plaisir qu’on laissera donc le lecteur découvrir bien d’autres facettes de ce drôle et singulier récit. Espérons qu’Annet Huizing, dont c’est le premier roman, se remettra bien vite à l’ouvrage !