Tsunami girl | Julian Sedgwick et Chie Kutsuwada

Tsunami girl,
Julian Sedgwick et Chie Kutsuwada,
traduit de l’anglais par Françoise Nagel
Bayard, avril 2023
Notes de lecture jeunesse par Françoise Chardin
A quinze ans, Yuki, jeune anglo-japonaise, souffre de phobie scolaire. Ses parents espèrent beaucoup du séjour qu’elle doit faire chez Jiro son grand-père, dessinateur célèbre de mangas désormais à la retraite, dans la petite ville d’Osoma, sur la côte du Pacifique.
En ce vendredi 11 mars 2011, Jiro sort de ses archives les planches de mangas que Yuki a réalisées chez lui lorsqu’elle était petite, espérant ainsi lui redonner le sourire. Dans ces planches apparaît un héros récurrent, Half Wave, super héros du fond des mers aux cheveux bleus, qui vole au secours des bateaux en perdition. Et lorsqu’à 14h46, les doigts de Yuki se mettent à trembler sur les carnets de dessin, le lecteur se demande s’il ne s’agit pas d’une plongée onirique de la jeune fille dans l’univers de son héros. Mais le tremblement de terre et le tsunami qui va le suivre sont bien réels. Jiro et Yuki quittent en toute hâte la maison pour se réfugier au plus haut de la colline et échapper au tsunami annoncé. Lorsqu’ils atteignent enfin le sommet, Jiro annonce à Yuki qu’il doit absolument retourner dans la maison pour chercher quelque chose d’important. Ne voyant pas son grand-père revenir, Yuki redescend à son tour pour le chercher et se trouve happée par la vague géante.
Si le récit s’organise dans sa première partie au fil de la catastrophe, les deux parties suivantes du roman, plus longuement développées, s’intéressent au retour à la vie de Yuki après son sauvetage. Rapatriée en Angleterre, elle entame son travail de survivante qu’elle ne pourra parfaire à son idée qu’en revenant dans la zone irradiée où se trouve la maison de son grand-père, à la recherche entêtante de ce mystérieux objet qui lui a coûté la vie.
En dehors de l’intérêt d’un récit fidèlement documenté du séisme du Tohoku, du tsunami qui l’a suivi et de l’accident nucléaire du Fukushima, c’est le travail de reconstruction de Yuki qui constitue le cœur du roman, en montrant combien l’aident à émerger dans tous les sens du terme, la création et l’imaginaire.
Au centre de la vie de Yuki, son amour du dessin auquel Tsunami girl rend hommage : les planches de mangas qui illustrent le roman ont leur propre vie : elles aussi passent du graphisme enfantin des premières aventures de Half Wave au précieux journal de bord du retour de Yuki sur les lieux de la catastrophe.
De façon très subtile, la lutte de Yuki contre les eaux déchaînées lors du tsunami s’enchevêtre dans l’imaginaire des aventures de son héros. Et si Half Wave ne peut sortir de ses bulles dessinées pour se porter au secours de Yuki, c’est sans doute son souvenir qui habite la jeune fille lorsqu’elle puise l’énergie de lutter encore contre la noyade en se donnant la mission de sauver un petit renard à la dérive sur une planche :
« Je ne peux pas abandonner le renard, pense-t-elle, tout en fouillant l’eau à la recherche de quelque chose qui pourrait lui servir de rame. »
Lors du retour clandestin à Osoma en zone interdite, accompagnée dans son voyage fou par Taka, qui cherche lui aussi des traces de son père disparu dans la catastrophe, ce sont des images à créer qui la soutiennent dans ce paysage fantasmagorique hanté par la présence d’un grand-père lui-même si attaché au culte des morts et du souvenir :
« Mais quelque chose de merveilleux prend forme dans son esprit ; un récit né de la destruction qui les entoure, des étincelles du feu de camp, des vies détruites, des roseaux gémissants, des pins sur la colline et des nuages de neige, du petit moulin à vent et de la terre ravagée. Une nouvelle histoire à propos de Grand-père… et d’un garçon aux cheveux bleus.
Un garçon capable de vous sauver… »
Deux garçons vont tenir une place importante dans la nouvelle vie de Yuki en Angleterre, tous deux enracinés dans le projet de manga qu’elle va mener à bien : Joel, son ami de lycée l’encourage à reprendre et enrichir l’histoire de Half Wave ; et c’est Taka, qui, depuis le japon, nourrit les images qu’elle porte. Double vie, double amitié, double identité, double univers des vivants et des morts fusionnent dans ce manuscrit enfin mené à bien.
Laissons le mot de la fin à Jiro, furieux d’une remarque de sa petite-fille sur ses dessins d’enfant :
« C’était seulement mon imagination ! »
« Bon sang ! » s’exclame Jiro en tapant du poing sur la table. « Ne prononce jamais le mot « seulement » en parlant de l’imagination. Jamais tu entends ! […] Seule l’imagination peut appréhender l’éternité. Yuki, toi et moi, nous étions les seuls à réellement imaginer que les morts revenaient pour la fête d’Obon. Les autres se contentaient de suivre machinalement les rituels, mais nous, nous les accomplissions comme il fallait. Pour honorer les morts. »