Sans foi ni loi
A l’Ouest, quelque chose de nouveau…
Le western est un genre peu représenté en littérature jeunesse contemporaine, peut-être victime de l’image désuète des récits de la bibliothèque verte des années 1960. Plusieurs titres récents repartent à la conquête de ces espaces romanesques en les explorant de manière renouvelée. Place y est faite notamment aux femmes, dans un univers largement masculin. En voici deux qui, dans un style très différent, savent conjuguer récit d’aventures et réflexion sur la société, et mettent au premier plan deux figures féminines.
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Sans foi ni loi,
Marion Brunet, éditions Pocket Jeunesse, septembre 2019.
Littérature jeunesse proposée par Françoise Chardin.
S’il est fréquent qu’une première rencontre fonde les bases du roman d’apprentissage, la manière dont le jeune Garrett voit surgir dans son ranch et dans sa vie Abigail Stenson sort de l’ordinaire : « La première fois que j’ai vu Ab Stenson, du sang coulait de son oreille gauche. » La jeune femme vient de dévaliser une banque, tuant un employé récalcitrant. Une seule solution pour échapper au shérif : prendre en otage Garrett et l’entraîner dans sa cavale.
Ce qu’Ab Stenson ne sait pas encore, c’est qu’elle vient de délivrer son prisonnier d’une captivité bien plus redoutable : celle de la domination d’un père pasteur dont un dieu de vengeance arme le bras à grand renfort de coups de ceinturon administrés à son fils pour lui enseigner le droit chemin.
Ce que Garrett ignore encore mais pressent très vite, c’est qu’ Ab Stenson ne peut se résumer au portrait de bête sauvage qu’en donnent affiches de recherche et cris d’effroi des citoyens bien pensants, particulièrement horrifiés de la voir prendre habits et mœurs de mâle, dans une société où même la pendaison est affaire réservée aux hommes : » T’as peut-être une chance d’échapper à la corde, vu que t’es une femme », lance le marshal.
Ce qu’ils vont mettre en évidence commune au cours de leur chevauchée vers le lieu où Jenny, l’une des jeunes prostituées d’un saloon, veille sur Pearl, la petite fille d’Ab, et doit recevoir le butin du hold-up, c’est qu’il est aussi difficile que nécessaire de se déprendre : « Désappartenir, Garrett, c’est ça la vraie bataille. » Telle est le fil conducteur de la vie d’Ab Stenson, enfant placée très jeune, dont la liberté n’a pu s’obtenir que par fuites et rejets successifs. Telle est la tentation qu’elle offre en modèle à Garrett. Mais celui-ci ne doit-il pas précisément résister à la fascination qu’il éprouve pour Ab Stenson, elle qui lui enseigne que « rien n’est plus dangereux que de penser avoir raison et vouloir donner au monde la force de ses convictions. » Mais, sans foi ni loi, quels repères de vie s’inventer, la question est centrale dans le roman.
Il y a dans ce très beau livre l’attrait du récit d’aventures, avec en toile de fond tous les passages obligés du western : chevaux, nature, poursuites, saloons, cow-boys et shérifs. Que lève le doigt le lecteur qui n’aura pas souhaité contre toute raison qu’Ab échappe à son destin de corde ! Le parti pris de procéder par scènes, entamées chacune avec fracas par le surgissement d’un personnage, d’une situation, d’une question dont se font l’écho comme autant de claps les titres de chapitres, l’importance des gros plans et des silences, convoquent le cinéma. Le théâtre n’est pas de reste, dans le soin apporté à chaque réplique, à chaque dialogue : « On se regarde par en dessous, la joute est douce, juste des questions à la place des réponses, une feinte pour repousser le moment d’y songer vraiment. »
La seule faiblesse d’Ab Stenson, la seule concession de Garrett seront sans doute d’accepter que leur improbable attelage de départ se transforme en une course de relais au passage de témoin final bien réconfortant pour les lectrices et lecteurs soucieux d’échapper au désespoir !