Lectures Jeunesse,  Numéro 4

Loup noir | Antoine Guillopé

Loup noir
Loup noir,
Antoine Guillopé,
Les Albums Casterman, 2004.

Littérature jeunesse proposée par Claire Benveniste.

Un album sans mots. Du noir, du blanc, une forêt, de la neige, quelques pas, un garçon, un loup… Où vont-ils ? Que pensent-ils ? Tout au long de l’album, les illustrations d’Antoine Guillopé nous suggèrent des intentions, des impressions, des scénarios… Le lecteur doit abandonner certaines de ses hypothèses au fur et à mesure de sa lecture mais à la fin de l’histoire, plusieurs interprétations restent possibles quant aux sentiments et aux intentions des personnages.

Les illustrations en noir et blanc sont richissimes, presque poétiques : jeux d’ombres, inversion des couleurs, croisement entre l’horizon et la verticalité des arbres… Tout choix de l’auteur-illustrateur semble avoir une signification et les cadrages presque cinématographiques (gros plan, plan large, plongée, contre-plongée…) nous font entrer avec efficacité dans les ressentis des personnages. La menace est suggérée dès la première de couverture avec ces deux yeux blancs en amande qui se détachent sur le fond noir. Le lieu du drame à venir, une forêt inquiétante, est représenté sur la quatrième de couverture, accompagné d’une phrase tout aussi inquiétante « Une histoire pour trembler au fond du lit ».

Les choses sont évidemment loin d’être aussi simples : le garçon a-t-il vraiment peur ? Est-il en train de courir pour échapper au loup ou bien lutte-t-il difficilement contre la neige et le vent ? Le loup pourchasse-t-il le garçon pour le dévorer ou veille-t-il sur lui dans cet environnement hostile ? Les enfants (et les adultes) ne sont jamais d’accord et c’est tant mieux. Cet album sans texte questionne les enfants dès le plus jeune âge sur les sentiments des personnages, sur leurs pensées, leurs intentions, leurs buts et leurs mobiles. Avec les enfants les plus grands, on se questionne aussi sur les intentions de l’auteur : pourquoi ces choix et ces inversions de couleurs ? Pourquoi bannir le texte ? Comment l’auteur fait-il pour nous faire peur ? Cet album se lit à différents niveaux et provoque toujours des débats passionnés, arguments à l’appui, dans le cadre familial ou scolaire. Les illustrations riches d’indices et de détails plurivoques sont un formidable support pour apprendre à mettre en mot son interprétation et son argumentation lors d’un débat littéraire. Et finalement, le lecteur enfant ou adulte peut tout autant choisir se laisser envoûter par l’album en silence, cela fonctionne aussi.