Catherine Sceaux,  Chacun pour soi ou savoirs pour tous : quelle école pour demain ?,  Gilbert Boche,  Numéro 8

Renouveau pédagogique au Québec ?

Ce texte est un compte-rendu de lecture du rapport « Perceptions de l’enseignement et réussite éducative au secondaire », rapport d’évaluation d’une réforme pédagogique au Québec, menée de 2005 à 2010. Ce rapport d’évaluation[1]Evaluation d’une rénovation pédagogique au Québec, projet ERES (Evaluation du renouveau à l’enseignement secondaire), octobre 2007-décembre 2008. a été dirigé par Simon Larose et Stéphane Duchesne, de l’université Laval au Québec, membres du groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale des enfants. (Août 2014)

Ce rapport est extrêmement intéressant et cela pour plusieurs raisons.

C’est d’abord un rapport sérieux, argumenté, relativement exhaustif, 110 pages, 400 avec les annexes, honnête dans ses conclusions, donc probant, c’est-à-dire qu’il représente un point d’appui solide pour la réflexion. A titre de contre-exemple français, nettement moins courageux, nous pourrions citer un rapport d’évaluation des rythmes scolaires, conservé au placard car ses résultats sont négatifs.

D’autre part, la conclusion de ce rapport sur l’évaluation est claire et sans appel : « doit-on remettre en question les fondements pédagogiques de cette rénovation ? 

Les retombées tangibles et attendues du renouveau pédagogique ne sont pas au rendez-vous ; le RP a-t-il favorisé la réussite scolaire ? La réponse est non ; le RP a-t-il diminué le décrochage ? La réponse est non. »

Le rapport lui-même présente quelques pistes pour tenter d’expliquer cet échec et cela nous intéresse grandement car notre propre projet, celui du Réseau Ecole, sensiblement, sinon fondamentalement différent, peut gagner en poids, en cohérence et en crédibilité à l’examen des modalités de cette expérience de « Renouveau Pédagogique » et des résultats du rapport qui s’ensuivent.

Nous avons d’autant plus besoin d’un travail critique sérieux sur cette expérience qu’elle peut apporter de l’eau au moulin de ceux qui pensent que les jeux sont faits dès le départ avec les élèves, « les bons et les fragiles », que toute tentative de les amener tous à un haut niveau de culture est une entreprise chimérique et que finalement il est inutile de dépenser des sommes astronomiques pour des réformes utopiques… Mieux vaut une bonne réforme pragmatique qui entérine et s’appuie sur des inégalités scolaires indépassables. Le minimum est suffisant pour les classes populaires. Chacun à sa place.

Enfin, les auteurs du rapport pointent -comme souvent- la responsabilité partielle mais certaine, des enseignants dans l’échec du projet, « plus occupés à assimiler les nouveaux contenus qu’à accompagner » leurs élèves dans leur parcours éducatif. Cela rappelle, pour nous, la place fondamentale que doivent occuper les enseignants, leur formation et leurs pratiques dans tout projet de rénovation du système éducatif. « Accompagner » les élèves, c’est d’abord accompagner les professeurs.

Chacun a sa place.

Présentation succincte des modalités de la Rénovation
Pédagogique (RP)

Cette expérience s’est déroulée de 2005 à 2010 dans les écoles secondaires du Québec. Elle avait été décidée à la suite des Etats Généraux sur L’Education en 1996. Cette rénovation visait à « mieux répondre aux intérêts et aux besoins des élèves, ainsi qu’à leur manière d’apprendre afin de favoriser leur réussite. » Elle s’appuie notamment sur les points suivants :

  • Une approche par compétences transversales ; c’est un savoir-agir. Rechercher et exploiter l’information, résoudre un problème, exercer son jugement critique, mettre en œuvre une pensée créatrice, se donner des méthodes de travail efficaces.
  • Un enrichissement des programmes avec des contenus « exigeants », entre 50 et 150 heures supplémentaires suivant les disciplines. Former ainsi « des élèves plus habiles, plus instruits, plus cultivés, des citoyens plus engagés, des travailleurs plus compétents ».
  • Une amélioration de la motivation des élèves ; ils doivent savoir se donner des défis personnels.
  • « Chaque élève est un individu unique » ; prise en compte renforcée de l’hétérogénéité des élèves ; accompagnement généralisé de chacun dans son parcours ; l’enseignant doit être disponible à tout instant.
  • Des situations d’apprentissages variées adaptées aux besoins des élèves ; contextualisation des connaissances ; recherche de « situations authentiques qui donnent du sens aux enseignements. ».
  • Références disciplinaires à des enjeux sociaux actuels : santé et bien-être/orientation, entrepreneuriat/environnement, consommation/éthique et culture religieuse.
  • Choix d’un cheminement scolaire en fonction des intérêts et des aptitudes des élèves avec trois pôles possibles : formation générale, formation générale appliquée, formation axée sur l’emploi.
  • Encourager le jeune à se sentir compétent.

Présentation générale des modalités de l’évaluation (ERES)

Il existe une bonne présentation de l’évaluation (p.9 du rapport) et un tableau explicatif qui présente le modèle de l’évaluation (p.22). Cette évaluation a été confiée au Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale des enfants dirigé par Simon Larose et Stéphane Duchesne. Elle a concerné 3700 élèves, 3900 parents, 360 directeurs d’écoles, 18000 enseignants et conseillers pédagogiques. Elle a coûté 1,5 million de dollars. Ces élèves étaient répartis en 3 cohortes aléatoires, C1, C2, C3, (C1 étant la cohorte contrôle, c’est- dire composée d’élèves non soumis à la rénovation).

Les modalités d’évaluation ont été nombreuses et variées : des questionnaires élèves, parents, enseignants, conseillers pédagogiques, à raison de 3 sur 3 ans, avec une déperdition importante entre les questionnaires 1 et 2. Il y avait au préalable des questionnaires expérimentaux pour les élèves et les parents, (assortis de récompenses sous la forme de places de cinéma et places de restaurant) ; des tests de connaissance en français et mathématiques, une épreuve PISA pour les maths avec 25 questions et la rédaction d’un texte d’argumentation de 500 mots pour l’épreuve de français ; des collectes de bulletins scolaires ; des études de variables modératrices  qui pouvaient atténuer la réussite, le sexe, le statut à risque de l’élève, le milieu défavorisé, la langue. L’élève à risque était évalué par les parents selon 3 critères : capable d’altruisme ou non, attentif ou non, agressif ou non ; des études de variables externes comme le travail salarié de certains élèves (C1 40%, C2 30%, C3 30%) ; des mesures des revenus économiques et culturels des milieux familiaux (cote de 1 à 10) ; des pondérations de résultats selon la région, l’école, et la motivation des équipes.

Résultats de l’évaluation 

« Les résultats, colligés en 4° secondaire, montrent que les élèves du RP ont perçu des climats moins favorables aux apprentissages comparativement aux élèves de la cohorte contrôle (C1). Les garçons, les élèves « à risque » et les élèves d’écoles francophones qui ont été exposés au RP ont été plus nombreux à bénéficier d’un plan d’intervention que leurs homologues non soumis au RP. Les parents d’élèves du RP se sont dits moins satisfaits des rapports avec l’école et ont eu une appréciation moins positive des bulletins scolaires. A une épreuve de connaissance en mathématiques, les élèves du RP ont obtenu des résultats légèrement inférieurs à ceux des jeunes de la cohorte contrôle, une différence qui s’accentue chez les élèves à risque et chez ceux venant de milieux défavorisés (7 points de différence). A l’épreuve unique d’écriture, les élèves du RP ont affiché des taux de réussite relativement élevés, comme ceux des élèves de la cohorte contrôle, mais une proportion moins importante d’élèves du RP ont obtenu des notes très élevées au critère « cohérence de l’argumentation ». Moindre réussite également en orthographe pour les élèves du RP. Enfin, les garçons, les élèves non à risque et les élèves d’écoles anglophones exposés au RP étaient moins nombreux à obtenir leur diplôme d’études secondaires (DES) que leurs homologues non exposés au RP. »

Le Groupe Evaluation, étonné des résultats, considère notamment qu’il faut accorder plus d’importance aux élèves à risque et défavorisés, qu’il faut plus de temps pour la mise en place d’une rénovation de cette ampleur.

Cette rénovation pédagogique au Québec apparaît comme une impasse.

Il s’agit ici, dans notre article, d’une simple approche, d’une liste de remarques non hiérarchisées sur l’ensemble du processus, rénovation et évaluation. Il présente notre analyse des causes de l’échec de cette expérience.

La RP est un projet trop axé sur la motivation, l’individualisation, l’adaptation, l’accompagnement généralisé des élèves. Les auteurs du rapport ERES pensent que les connaissances supplémentaires étaient trop exigeantes pour les élèves « fragiles ». Il y a ici une absence de véritable questionnement pour affronter la difficulté intellectuelle propre à l’acquisition des savoirs.

“ Ce n’est pas en simplifiant le complexe que l’on favorise les acquisitions. ”

Il n’est pas sûr que la contextualisation renforcée, les situations dites « authentiques » soient la meilleure façon de s’approprier les savoirs, c’est plutôt là l’indice d’un contournement de la difficulté ; ce n’est pas en simplifiant le complexe que l’on favorise les acquisitions.

D’autre part, la catégorisation des élèves pose problème ; « élèves à risque, défavorisés, fragiles », cette dénomination pointe l’échec scolaire comme une inadaptation de l’élève, sinon de l’enfant. D’ailleurs le nom du Groupe de recherche ERES (groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale de l’enfant) qui a dirigé l’évaluation atteste qu’il se place dans cette logique discutable de l’inadaptation de l’élève. Dans le rapport d’évaluation, ces élèves sont d’ailleurs placés dans la rubrique : « atténuation possible de la réussite » ; ils restent étrangement des perturbateurs ! Cela montre qu’ils ne sont pas au cœur du projet de rénovation.

La RP est trop axée sur le « coaching » des élèves, les défis personnels. Il n’y a pas là de véritable coopération entre les élèves ; ici c’est chacun pour soi ; nous sommes loin du « travailler ensemble pour réussir ensemble ».

Enfin, nous constatons l’absence d’informations précises sur les relations entre les enseignants et la Rénovation. C’est un autre « rapport qui donne le point de vue des enseignants sur la réforme » de JF Cardin, E Falardeau et S Sachys Bidjang. « Tout ça pour ça ! ». Majoritairement les enseignants du Québec critiquent fortement la réforme. Manque de consultation, manque de formation, manque de repères, dispersion et moindre réussite des élèves, accroissement des inégalités. Le travail en équipes des enseignants, de leur propre initiative, les a sauvés de l’épuisement…

Le référentiel des programmes est explicite ; le domaine de la sensibilité et des pratiques artistiques est absent ; nous sommes sur des territoires utilitaristes ; les enjeux sociaux sont idéologiquement réduits et marqués ; si la santé et l’environnement sont consensuels, « l’orientation et l’entrepreneuriat » ont eux le mérite de la clarté, il s’agit des valeurs de l’entreprise au collège et au lycée, sous couvert d’autonomie, de motivation, de créativité et de construction de projets !

Il ne s’agit pas de former des esprits libres, mais comme dirait, François Hollande lors de son discours du 2 mai 2016 aux journées de la Refondation de l’école, (un cousin de ce côté-ci de l’Atlantique) « de mettre le système éducatif au service de l’économie ».

“ Les élèves en difficulté posent en grand les problèmes de l’école et de l’inadaptation du système éducatif lui-même. ”

Pour notre part et pour le projet qui nous intéresse en France, nous pensons que les élèves en difficulté posent en grand les problèmes de l’école et de l’inadaptation du système éducatif lui-même ; d’où la nécessité de revoir, à nouveaux frais, l’ensemble du système. L’élève qui n’a que l’école pour apprendre, l’élève en échec, doit être au centre de la refondation.

“ « Homo Sapiens Sapiens » se réduit à « Homo Economicus », idole de la pensée dominante, et c’est, malheureusement, une mésaventure très contemporaine. ”

En conclusion, il semble bien que nous n’avons pas là, au Québec, un système construit pour conduire tous les élèves à un haut niveau de culture, mais, en filigrane, un système construit pour adapter les élèves aux valeurs de la mondialisation, de l’entreprise et de la concurrence, une manière « d’actualisation » libérale. « Homo Sapiens Sapiens » se réduit à « Homo Economicus », idole de la pensée dominante, et c’est, malheureusement, une mésaventure très contemporaine.

Nous n’avons pas l’intention d’y souscrire !

Gilbert Boche et Catherine Sceaux
Comité de rédaction de Carnets Rouges

Notes[+]