Numéro 15,  Propositions de lecture

Pourquoi joindre l’inutile au désagréable ?

Pourquoi joindre l’inutile au désagréable ? En finir avec le nouveau management public,
Évelyne Bechtold-Rognon, Éd. de l’Atelier, 176 p.

Note de lecture proposée par Christine Passerieux.

Evelyne Bechtold-Rognon fait dans cet ouvrage un travail particulièrement nécessaire, en permettant au lecteur de travailler au sens des mots, s’opposer à leur détournement (…) moment important du mouvement de libération de la servitude. Car si la novlangue joue le bon sens (rationalisation, pragmatisme, efficacité…) elle permet de dissocier constamment le discours et l’action : l’objectif est bien d’empêcher la réflexion. Le nouveau management public (NMP) est ce nouvel instrument de soumission des salariés[1]Danièle Linhart qui avance masqué, puisqu’il tient toujours le discours du réalisme apolitique, au nom de la modernité et de l’abolition des archaïsmes, comme si la technicisation qu’il impose était neutre.

Le projet de ce court ouvrage est ambitieux et le défi est relevé, dans la construction même du texte qui tisse un maillage étroit entre analyses, propositions d’outils critiques et paroles de ceux que le nouveau management tente d’évacuer comme sujets. Il s’agit aujourd’hui comme hier de mettre la main sur le travail des salariés, de les empêcher de développer le contre-pouvoir lié à leur savoir professionnel, sous couvert d’efficacité et dans la promotion de « bonnes pratiques ». Ce qui est en jeu, dénonce Evelyne Bechtold-Rognon, est une mutation profonde de l’administration publique, de nature politique.

Individualisation ; obsession de l’évaluation quantitative, immédiate chiffrée ; rémunération au mérite… Le NMP, écrit Evelyne Bechtold-Rognon, est une arme de guerre contre les professions : il joue la gestion contre la profession, provoquant au passage le délitement des équipes par une mise en concurrence des personnes, dans une perte de sens de l’activité. Il est aisé alors de psychologiser et médicaliser la souffrance au travail (comme cela est fait de la difficulté scolaire imputée aux élèves et non au système). Sont particulièrement touchées les femmes, toujours perdantes dans la mise en concurrence des travailleurs. Ce qui fait dire à l’auteur que le combat contre le nouveau management est par essence un combat féministe.

Alors que le mot travail est absent du vocabulaire des managers, c’est bien de l’empêchement à travailler que parlent les agents de l’éducation nationale, des hôpitaux, des EHPAD… C’est donc pour Evelyne Bechtold-Rognon en partant de leurs métiers, de ce qu’ils savent faire, qu’ils pourront s’unir, retrouver confiance en eux-mêmes et dans le collectif. Elle convoque Marx pour qui, dit-elle, le travail est porteur d’un potentiel de libération de l’humain, libération des chaînes du besoin, des contraintes naturelles, mais aussi libération par rapport à ses propres limites et à l’assignation sociale. D’où l’importance de s’affirmer comme professionnels, de reprendre la main sur les métiers, apprendre à dire le travail, réparer le tissu des solidarités car il y a là un enjeu politique.

A lire sans hésiter pour se remettre debout.

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