Annie Mandois,  Chacun pour soi ou savoirs pour tous : quelle école pour demain ?,  Numéro 8

Levallois-Perret, les Hauts de Seine : terres d’expériences pour l’offensive libérale contre l’école

« Quand l’Entreprise fera Ecole…. En 2015 »
Rêve patronal en 1996

Voilà plus de 20 ans que sévit l’offensive libérale contre l’école lancée dans les années 80/90 par les grands industriels et grands financiers internationaux et européens avec l’appui de tous les organismes publics et privés telle l’OCDE, l’OMC, le FMI et la Commission européenne, afin de réduire au strict minimum l’intervention publique en privatisant tous les secteurs de l’enseignement et développer un « grand marché de l’Education » au service total de l’économie capitaliste.

Cette logique néolibérale du « moins d’école » qui s’est organisée dès 1995 autour de 3 pôles : l’adaptation aux besoins des entreprises ; la mise en concurrence généralisée de l’éducation avec un mode de gestion « managériale » ; le pari de l’« e-learning ». Elle a cherché d’emblée à avancer à partir de « solutions locales », son credo dominant étant de créer «  des structures éducatives pour chaque territoire », « chaque communauté », chargées de mettre en concurrence école et université, en développant « l’autonomie » des établissements et leur « différenciation » revendiquées comme critères de modernisation ! Nous y sommes toujours !

« Les têtes de pont » du système

Cette orientation a trouvé dès le départ une terre d’expérience dans les Hauts de Seine et à Levallois-Perret sous la commande de Pasqua, Sarkozy et du couple Balkany, grands symboles et opérateurs décomplexés du système !

Ainsi, de la fac privée Pasqua (Léonard de Vinci à la Défense) à l’aménagement des rythmes scolaires (semaine de 4 jours dans les écoles de Levallois en 1991), jusqu’à la mise en place en 2005 de jardins d’éveils payants pour les 2/3ans remplaçant les petites sections de maternelle (ces élus précurseurs de ce que tentera Morano en 2010), organisent le démantèlement du service public d’Education Nationale, promouvant « LEUR  ECOLE » et la privatisation!

Et c’est aussi dès 1995 qu’ils s’inscrivent dans la stratégie du MEDEF local et de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, qui rêvent qu’en 2015 « l’entreprise fasse école », en organisant à la mairie de Levallois, une opération « de l’Ecole à l’Entreprise » où le président du Conseil général C. Pasqua, profitant cyniquement de violences scolaires, proposa « d’immerger dans les entreprises » « les fauteurs de troubles » des collèges du 92, dès 14 ans, sous les applaudissements des grands patrons présents, ravis d’enfoncer un coin dans l’obligation scolaire à 16 ans !

Villepin tentera la même chose en 2005 après les émeutes, mais renoncera devant les oppositions, et c’est sous Sarkozy/Fillon que le projet École/Entreprises des grandes puissances financières, après le traité de Lisbonne, s’installera véritablement dans le paysage scolaire.

En 2011, plus insidieusement, le projet de sortie de l’école avant 16 ans des enfants en difficulté ne sera plus présenté comme une sanction mais comme un accompagnement, une aide à ce qu’on appellera les « décrocheurs », un genre plan de sauvetage !

A Levallois, les Balkany se saisissent très vite du décret d’août 2011, autorisant contre l’avis du Conseil supérieur de l’Education, des « dispositifs spécifiques personnalisés d’alternance pour les élèves de 3ème et 4ème » et mettent en place la stratégie gouvernementale et patronale d’ouverture de l’école aux entreprises, sous 2 formes :

L’une, dans le cadre de ce qui est appelé « Prévention du décrochage scolaire » : des conventions sont passées entre 2 collèges (sur 3) et la ville elle-même qui accueillera l’élève volontaire, avec accord de sa famille, dans les services techniques municipaux, en 3 stages de 30h hebdomadaires soit 90h dans l’année. Pendant ce temps passé « hors de l’école » et alors qu’il « doit prendre conscience de ses acquis » au travail, l’élève «  se doit » (texte de la convention) pour son retour à l’école « de ne pas perdre pied sur les contenus travaillés en son absence ». Et faire un bilan de son stage, produire un rapport, passer un oral et choisir son orientation ! Donc en faire plus que les autres élèves restés au Collège !

Ce n’est pas de la prévention, c’est du décrochage accéléré avec rupture de l’obligation scolaire ! Ce à quoi conduira l’école du socle commun conçue pour faire sortir tôt du système éducatif de plus en plus d’enfants et les rendre « immédiatement adaptables à un poste » comme le souhaite le patronat depuis les années 90.

L’autre forme de soumission de l’école à l’entreprise : La création de mini-entreprises

Dans les 2 mêmes collèges, avec le soutien payant de la ville et de son bureau de la jeunesse, la direction et des enseignants des collèges ont accepté de passer une « convention relative à la création de mini-entreprises », avec une association privée « Entreprendre pour Apprendre » (membre d’un réseau international né aux USA en 1919) dont le but est « d’initier, les enfants de 8 ans à 25 ans -du CE2 au post-bac-  au fonctionnement et à la création d’entreprise et d’apprendre le vocabulaire du monde de l’entreprise » avec l’aval bien sûr du Ministère de l’Education !

L’école instrumentalisée

Démarche soutenue, réclamée par le MEDEF dans sa contribution à la loi de refondation de l’école, en 2012 où il « préconisait la généralisation des mini-entreprises au collège et au lycée » et des stages en entreprise dans la formation des enseignants !

“ Quel leurre tragique qui ne fait qu’accompagner la débandade d’un système stérile, absurde et dangereux ! ”

Tout cela pour développer l’esprit d’entreprendre chez les enfants, nouvelle mission de l’école désirée par le MEDEF et la commission européenne, et reprise par le président de la République pour qui « stimuler l’esprit d’entreprise dans notre pays, c’est d’abord le rôle de l’école », sa Ministre de l’enseignement supérieur ajoutant que « si on veut avoir plus d’étudiants qui lancent des entreprises, c’est la culture qu’il faut changer et commencer très tôt, dès la maternelle.»  Sans rire ! Alors l’ambition scolaire devient : tous patrons, tous auto-entrepreneurs, tous milliardaires comme le rêve Macron ! Quel leurre tragique qui ne fait qu’accompagner la débandade d’un système stérile, absurde et dangereux ! De quelle entreprise s’agit-il si ce n’est le modèle capitaliste qui par ailleurs brade les entreprises ?

“ N’y a-t-il pas là une atteinte à la laïcité et une volonté d’emprise idéologique totale sur l’école ? ”

De plus, n’y a-t-il pas là une atteinte à la laïcité et une volonté d’emprise idéologique totale sur l’école pour sauver leur système et faire du marché de l’Education un des grands marchés « à fric » du 21 ème siècle ?

Les libéraux comptent pour cela sur le « e-learning » et le marché du numérique mais il y a loin de la coupe aux lèvres, ils ne le maitriseront pas si facilement, il ne suffira pas de vendre des ordinateurs, il faudra contrôler les cerveaux, ce qui n’est pas sans leur poser des problèmes ! Leur espoir de 1995 d’avoir réalisé en 2015 cette « grande réforme de l’Education dans des Etats Unis d’Europe », n’a pas abouti même s’ils ont pu avancer, dans notre pays, avec la complicité de tous les gouvernements, sans exception.

Relever les défis !

Les résistances et les luttes ont été nombreuses et fortes. Allègre qui avait fait du rapprochement de l’école avec l’entreprise, l’école du 21ème siècle, a dû quitter la place mais ceux qui l’ont suivi n’ont jamais remis en cause l’objectif !

C’est un des plus grands défis à relever pour 2017 et les années à venir : l’Éducation est désormais au centre des combats à engager contre le capitalisme financier, résister au quotidien et imposer le redéveloppement d’un grand service public d’Education réinventé pour une société démocratique où le respect du développement humain et l’égalité seront prioritaires a tous les niveaux.

“ L’offensive doit changer de bord. ”

Les luttes actuelles en sont porteuses ! L’offensive doit changer de bord  pour que l’école fasse vraiment l’école, en donnant à chaque enfant tout ce dont il a besoin pour apprendre, progresser, se construire comme personne, être humain à part entière, travailleur, citoyen, créateur, ce dont chacun, chacune est capable.

Annie Mandois
Conseillère municipale PCF
de Levallois-Perret de 2001 à 2014
Réseau Ecole Pcf/Front de Gauche 92