Hélène Bidard,  La laïcité est-elle encore révolutionnaire ?,  Numéro 4

La laïcité, condition de l’émancipation des femmes

Interroger le rapport entre laïcité et droits des femmes est aujourd’hui un exercice tout à la fois nécessaire et équivoque. Nécessaire pour rappeler, à travers l’histoire, que le combat pour la laïcité et contre l’intégrisme et les pouvoirs politico-religieux a très largement participé de l’émancipation des femmes et des jeunes filles. Nécessaire aussi, pour comprendre la menace que constitue « un retour du religieux » pour leurs droits. Équivoque car se borner, comme on le fait de plus en plus, à mesurer le degré de laïcité de notre société à l’aune de la condition faite aux femmes, voire à la seule façon dont elles s’habillent, signe aussi, entre autres motifs non moins tolérables, la tendance du patriarcat à vouloir toujours et encore les contrôler. Sur ce sujet, aux côtés des féministes, la vigilance et la contribution des acteurs de l’éducation sont fondamentales.

Droits des femmes et laïcité, des conquêtes historiquement liées

« Les religions n’aiment pas les droits des femmes », selon Geneviève Fraisse, philosophe et historienne de la pensée féministe. Libre à chacun-e d’en juger d’autant que la liberté religieuse est un droit fondamental que la loi de séparation des églises et de l’État de 1905, base de la laïcité à la française, n’est pas venu contredire mais en quelque sorte renforcer.

L’article 1er de la Constitution de 1958 est aussi là pour rappeler que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion et qui respecte toutes les croyances.

Mais force est de constater que la plupart des conquêtes majeures des femmes se sont historiquement faites en opposition aux pouvoirs polico-religieux et grâce à l’apport de la laïcité : droit à l’éducation, droit à disposer de son corps (notamment accès à la contraception et à l’IVG, accouchement sans douleur, liberté sexuelle), droit à ne pas subir de violences en particulier dans le cadre du mariage, mais aussi droit de divorcer… bref des conquêtes vers l’autonomie.

S’agissant du droit des filles à l’éducation, autant préciser d’emblée que les petites françaises n’ont quasiment pas eu accès à l’instruction avant le XIXème siècle ou alors seulement religieuse.

Mais l’égalité entre les filles et les garçons a aussi achoppé sur la question de la mixité à l’école, fortement critiquée par les milieux catholiques qui prophétisaient que les établissements scolaires allaient devenir des lieux de rapprochements sexuels précoces. L’orphelinat de Cempuis dans l’Oise, où le pédagogue, certes libertaire, Paul Robin tenta l’expérience en 1890 avec le soutien de Ferdinand Buisson, alors directeur de l’enseignement primaire, fut ainsi littéralement traité de « porcherie » ! 

Aujourd’hui, seuls des intégristes de tout bord songent encore à remettre en cause le bénéfice de la mixité, qui ne s’est imposée en France qu’en 1975 (loi Haby), sans doute motivés par le fait que la séparation des filles et des garçons tend à renforcer les stéréotypes de genre et donc les inégalités.

Sur la question de la liberté à disposer de son corps, nos mères savent bien qui ont été les opposants aux évolutions législatives qui ont changé leur vies. Face à la loi Neuwirth de 1967, autorisant notamment l’usage de la contraception orale, s’élève encore une fois le spectre du désordre moral. Un an après, le pape Paul VI publie l’encyclique Humanae Vitae condamnant les méthodes de régulation artificielle de la natalité.

Des résistances que résume Gisèle Halimi dans sa plaidoirie du procès de Bobigny : « nous restons fidèles à un tabou hérité de nos civilisations judéo-chrétiennes qui s’oppose à la dissociation de l’acte sexuel et de l’acte de procréation ».

La loi Veil pour l’interruption volontaire de grossesse, adoptée en 1975 grâce aux parlementaires progressistes contre une majorité plutôt réactionnaire, a donc évidemment trouvé en travers de son chemin les églises aux côtés des premiers mouvements pro-vie.

De la même façon, l’institution du mariage est restée jusqu’à très récemment sous le joug de conceptions cléricales, et cela malgré le fait que la Révolution Française avait conquis le droit au mariage républicain. Bien qu’autorisée dès 1792, la possibilité de divorcer par consentement mutuel n’est réintroduite qu’en 1975. Jusqu’en 1992, le crime de viol ne semble pas applicable aux époux au nom du sacro-saint devoir conjugal, autrement qualifié de devoir de cohabitation dans le code civil ! Et c’est seulement en 2010 que la présomption de consentement de l’épouse disparaît. Le modèle de complémentarité des sexes défendu par les grandes autorités religieuses a par ailleurs empêché jusqu’en 2013 le mariage et la filiation des couples de femmes.

La crispation sociétale actuelle autour du religieux est une menace pour les droits des femmes

Rappeler le rôle de la laïcité dans le changement de la place des femmes dans la société est un impératif. Les jeunes générations ont semblé en effet grandir avec le sentiment que l’égalité entre les hommes et les femmes était acquise de longue date et dans l’ordre des choses. Ce rappel s’impose aussi dans un contexte de résurgence importante de débats autour du fait religieux qui menace les droits des femmes.

“ Les jeunes générations ont semblé en effet grandir avec le sentiment que l’égalité entre les hommes et les femmes était acquise de longue date et dans l’ordre des choses. ”

Alors qu’on les pensait découragés après les lois Neïertz de 1993 (condamnation de l’entrave à l’interruption volontaire de grossesse) et Aubry de 2001 (augmentation du délai légal de 10 à 12 semaines), les commandos anti-IVG reviennent sous le nom de « pro-life » et autres.

A Paris par exemple, des intégristes ont repris l’organisation de prières de rue au pied des hôpitaux publics et l’introduction dans des centres IVG pour tenter d’exercer des pressions morales et psychologiques sur les patientes. Très récemment, on a vu resurgir les militants de l’association SOS Tout-Petits devant l’hôpital Port Royal et dans les locaux parisiens du Mouvement Français du Planning Familial.

Les débats qui ont animé la France autour de la « théorie du genre » et des ABCD de l’égalité (avec le recul que l’on sait du gouvernement) sont symptomatiques. Cela a eu des conséquences certaines sur la capacité des acteurs de l’éducation à intervenir.

La réouverture d’écoles non-mixtes, depuis la loi de 2008 de lutte contre les discriminations qui a autorisé « l’organisation par regroupement des élèves en fonction de leur sexe », a été possible grâce à la pression de revendications fondamentalistes.

En réalité, la hiérarchie des sexes et le retour à la famille traditionnelle sont au « centre du projet idéologico-politique de tous les mouvements fondés sur l’exacerbation des identités religieuses (intégrisme catholique, islamisme, fondamentalisme protestant et juif) » d’après l’écrivaine et sociologue Chahla Chafiq.

Pourtant, si la religion semble être le vecteur privilégié pour remettre en cause les droits des femmes aujourd’hui et la laïcité un rempart contre les intégrismes, il faut prêter attention à la définition des concepts. La laïcité est le principe de neutralité de l’État et de ses représentants vis-à-vis des différentes religions. Elle garantit le libre exercice de la liberté de culte. Comme le souligne le sociologue et historien Jean Baubérot, « elle ne consiste pas en la neutralité religieuse des citoyens dans l’espace public ».

Cette idée galvaudée est souvent privilégiée par ceux-là même qui se disent partisans de la laïcité. Il est significatif de voir certains partis politiques à droite et à l’extrême droite, qui n’ont jamais défendu la laïcité ou les droits des femmes, se revendiquer aujourd’hui de ce principe pour mieux rejeter certaines confessions qui leur semblent incompatibles avec la démocratie et la « culture majoritaire ».

“ Les droits des femmes se trouvent ainsi de plus en plus manipulés à des fins racistes alors que paradoxalement une interprétation très extensive de la laïcité peut parfois mener à une exclusion des femmes
de l’espace public, de l’école
et du travail. ”

Les droits des femmes se trouvent ainsi de plus en plus manipulés à des fins racistes alors que paradoxalement une interprétation très extensive de la laïcité peut parfois mener à une exclusion des femmes de l’espace public, de l’école et du travail. C’était le cas de la circulaire Chatel de 2012 sur le port du foulard par les mères accompagnant leurs enfants en sortie scolaire. C’est aussi ce qui a conduit certains progressistes à s’opposer à la loi de 2004 sur le port de signes religieux à l’école et à refuser de prendre part au vote sur la loi de 2010 visant à interdire le port du voile intégral dans l’espace public.

Or comme le souligne Claudie Lesselier, enseignante et militante associative, « l’espace d’une réflexion critique apparaît souvent étroit, entre ceux et celles qui instrumentalisent ces problèmes dans une perspective xénophobe, et ceux et celles qui au contraire les nient et font preuve de complaisance envers l’islamisme ».

Plus encore, l’exclusion en avril dernier de la jeune collégienne de Charleville-Mézières, soulignée dans les médias comme étant au seul motif qu’elle portait une jupe longue ostentatoire, reflète l’ampleur du phénomène de contrôle qui semble vouloir s’opérer sur le corps des femmes et qui dépasse maintenant les traditionnels débats autour du voile islamique.

C’est « l’être perçu » de Pierre Bourdieu, « être féminin est sans cesse exposé à l’objectivation opérée par le regard et le discours des autres », dont les prétendus tenants de la laïcité nous expliquent désormais quelle doit être la longueur de la jupe !

Défendre coûte que coûte la laïcité sans tomber dans les pièges tendus.

Soutenir tout à la fois la laïcité et les droits des femmes, c’est aujourd’hui s’attaquer aux causes profondes d’un retour du religieux dans le débat public, sortir du piège du voile et de toute autre tentative de contrôle du corps des femmes et penser la conquête de droits supplémentaires autant que la défense de ceux déjà conquis.

Chez les communistes, les débats sont aussi vifs mais nous nous retrouvons en ce que « nous n’acceptons pas l’instrumentalisation des religions par des forces politiques réactionnaires et parfois totalitaires, nous n’acceptons pas la montée d’un affrontement identitaire dévastateur, nous appelons à ouvrir un nouvel âge du vivre ensemble, un nouvel âge de la République où la liberté, l’égalité et la fraternité retrouveront leur sens, un nouvel âge pour la paix et la justice dans le monde »[1]Appel du PCF à lutter contre le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie, 4 octobre 2014.

A cet égard, les attentats de janvier ont renforcé notre détermination à continuer le combat pour la liberté et la laïcité sans tomber dans les pièges tendus de toutes parts, en particulier saisir que ce drame est sans doute moins lié au religieux qu’à « l’attrait de logiques de guerre et de radicalisation politique extrême » pour une jeunesse susceptible de passer « directement de la délinquance et de l’exclusion sociale à l’embrigadement fanatique criminel »[2]Pierre Laurent, Hommage à Charlie Hebdo, 12 janvier 2015.

Pour Chahlah Chafiq, la montée des extrémismes religieux est aussi le fruit d’une socialisation masculine très portée sur la violence, d’une quête de sens de la jeune génération et de promesses non tenues par les dirigeants qui se sont succédés. Selon elle, l’égalité des sexes est un projet de société qui permettrait de contrer les intégrismes religieux.

L’urgence est à la reconstruction de la formation initiale des acteurs de l’éducation pour armer ces derniers au plan des valeurs et de la recherche. A Paris, nous allons prochainement lancer une étude dans les crèches auprès des personnels pour examiner les conséquences des stéréotypes de genre. Mon ambition est aussi de désigner dans le périscolaire un responsable par école parisienne à l’éducation non-sexiste et à la lutte contre le sexisme.

Par ailleurs, le groupe communiste est extrêmement vigilant quant au financement, hérité des années où Paris était dirigé par la droite, des crèches et autres établissements scolaires confessionnels, pour refuser toute aide à ceux qui ne respecteraient pas la laïcité et qui auraient un fonctionnement communautaire susceptible de remettre en cause les droits des femmes.

Contre la montée des intolérances, la ville soutient enfin des ateliers de découverte de la laïcité et des faits religieux, animés par des acteurs associatifs visant à permettre aux enfants de primaire de mieux comprendre le monde dans lequel ils évoluent, et, favoriser la coexistence apaisée des différentes convictions religieuses ou a-religieuses. Des actions qui devraient aussi permettre de réduire d’éventuels conflits avec les parents.

Sortir des pièges tendus actuellement par un débat crispé autour des questions religieuses et notamment de la place de l’islam en France, nécessite de se battre pour des droits des femmes universels. Ce sont ces conquêtes des femmes, alliées à la laïcité, qui peuvent permettre d’aller à l’encontre des intégrismes religieux et de lutter contre tous les racismes.

Hélène Bidard
Élue communiste,
Adjointe à la Maire de Paris
chargée de l’égalité Femmes/hommes,
de la lutte contre les discriminations,
et des droits humains.