Numéro 11,  Propositions de lecture

La fabrique scolaire de l’histoire

La fabrique scolaire de l’histoire (2ème édition),
Sous la direction de Laurence de Cock, Éditions Agone, 2017.

Note de lecture proposée par Dominique Comeli

La première édition de cet ouvrage, en 2009, avait rempli une fonction importante dans tous les débats sur l’enseignement de l’histoire, en montrant d’abord que les contenus d’enseignement ne sont ni une transposition didactique, ni un montage idéologique mais un objet complexe, ayant son autonomie et ses logiques, construit par des acteurs variés, en ayant un usage et y assignant des objectifs différents. L’ouvrage avait, dans ses différents textes, mis l’accent sur tel ou tel aspect de cette « fabrique scolaire de l’histoire  ».

Cette édition était devenue indisponible. Les differents articles seront donc mis en ligne, et une nouvelle édition est sortie au printemps, mettant l’accent beaucoup plus sur les pratiques, c’est à dire la fabrication concrète.

En 8 ans, les questions de l’enseignement scolaire sont revenues au centre des débats (si tant est que dans notre pays elles l’aient vraiment quitté). Sarkozy avait dès 2007 mis en avant une exigence d’un enseignement de l’histoire centré sur la transmission d’un roman national très réactionnaire, concrétisé par les catastrophiques programmes du primaire de 2008, écrits à la va-vite par les tenants d’un retour à un enseignement traditionnel pour ne pas dire traditionnaliste (qui, au passage, ont abouti à un effondrement du niveau des élèves en maths, comme l’ont bien montré les évaluations de l’an dernier), et remplaçant les programmes de 2002, novateurs et stimulants. Les attentats de Charlie et du Bataclan ont réinstrumentalisé l’enseignement de l’histoire, chargé de reconstruire une adhésion républicaine, en particulier auprès des publics perçus comme éloignés de ces valeurs et envers qui la défiance ne fait que croître. Les programmes de 2016 ont relancé des campagnes de lobbying réactionnaires sur l’enseignement de l’histoire, campagnes efficaces, dans la mesure où les tenants de l’ « aggionarmento  » n’ont pu imposer un rapport de force suffisant. Je renvoie ici à un article précédent de Carnets rouges.

Ce livre est donc indispensable pour continuer le débat. L’accent mis sur d’autres aspects (l’exemple des Etats-Unis, la réflexion sur l’histoire-monde et la géopolitique, les pratiques d’enseignant) complète et actualise heureusement la première édition. On peut faire certaines remarques, pour contribuer au débat :

– la présentation des acteurs de l’élaboration des programmes oublie un acteur important dans les années 1990-2010 : le Snes. Vouloir en rester au face à face entre l’institution et l’APHG est à la fois cautionner le discours de l’APHG qui se présente comme représentant des enseignants (alors que le Snes avait plus d’adhérents enseignants d’histoire-géo que l’Aphg) et oublier un acteur ayant à la fois une logique d’aggionarmento, un rôle reconnu institutionnellement (consultations, rencontres régulières avec l’Ig et le ministère…) et un lien fort avec les enseignants (consultations systématiques et stages fréquents sur les programmes).

– même si la géographie n’est pas le sujet de ce livre, elle joue un rôle important, y compris dans le rôle assigné à l’histoire. Les programmes de 2008 du primaire, très régressifs aussi en géographie, cherchaient à reconstruire un roman national de l’espace géographique français. Les nouveaux programmes marquent une rupture fondamentale, et donnent aux élèves la capacité de devenir vraiment des acteurs, déniée en histoire (ne serait ce que parce que les débats se sont focalisés sur l’histoire).

– l’utilisation sans guillemets de l’expression « immigration post-coloniale  », l’accent mis sur l’enseignement du fait colonial, de l’immigration, même si les analyses mettent en question l’assignation identitaire et mémorielle faite aux élèves, renvoient à un débat important sur la place du post-colonial dans la définition des enjeux actuels, et la manière dont sont définies les classes populaires. La fabrique du musulman (Nedjib sidi Moussa, éditions Libertalia) situe précisement l’histoire et les implications de la construction et de l’utilisation de ce concept dans le jeu politique. Cette grille de lecture à partir de « l’immigration post-coloniale  », telle que pratiquée par P. Blanchard par exemple, permet d’évacuer toute approche de classe et a contribué à cette disparition de la classe ouvrière du discours politique, des programmes, et de l’enseignement de l’histoire. C’est aussi un point aveugle de ce livre, et peut-être un objet de la 3ème édition…